CHARM EL-CHEIKH, Égypte — Les forces de sécurité libyennes ont violemment interrompu un sit-in de protestation de migrants devant un centre communautaire fermé des Nations unies (ONU) dans la capitale Tripoli, ont déclaré lundi des militants et des migrants.
Les troupes sont arrivées pendant la nuit, ont détruit le site de la manifestation et ont arrêté des centaines de personnes, a rapporté l’activiste Tarik Lamloum. Elles ont été envoyées dans un centre de détention de la ville voisine d’Ain Zara. D’autres ont réussi à fuir le raid.
M. Lamloum, qui travaille avec l’organisation locale pour les droits de l’homme Belaady , a indiqué qu’au moins un chef de la communauté de migrants avait été abattu lors de l’incursion.
Les migrants, notamment des femmes et des enfants, campaient à l’extérieur du centre de Tripoli depuis octobre, cherchant à s’abriter après avoir fait l’objet d’une répression massive. Ils exigeaient une protection et un meilleur traitement de la part des autorités libyennes.
Aiysha, une migrante soudanaise, faisait partie du sit-in avec sa famille depuis octobre. La mère de deux enfants a raconté que la police avait battu et détenu des migrants. Elle est désormais détenue.
« Nous avons été pris au dépourvu », a-t-elle témoigné, s’exprimant par téléphone depuis le centre de détention d’Ain Zara. Elle n’a donné que son prénom, craignant pour sa sécurité. «Ils ont brûlé les tentes, ils ont tout brûlé. »
600 migrants arrêtés
Le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) et le Comité international de secours (IRC) ont déclaré que plus de 600 migrants avaient été arrêtés lors du raid.
« C’est l’aboutissement d’une situation catastrophique qui s’est détériorée » depuis la détention massive de migrants en octobre, a expliqué Dax Roque, directeur du NRC en Libye.
Les deux groupes ont exhorté les responsables libyens à libérer immédiatement les personnes emprisonnées et à les protéger contre de nouvelles violences.
Un porte-parole du gouvernement n’a pas répondu aux appels téléphoniques ni aux messages sollicitant des commentaires sur la situation.
Lors de la répression d’octobre, les autorités libyennes ont arrêté plus de 5 000 migrants, dont des centaines d’enfants et de femmes, incluant des dizaines enceintes, selon les Nations unies. Le gouvernement de l’époque l’avait décrite comme une opération de sécurité contre la migration illégale et le trafic de drogue. Les migrants ont été emmenés dans des centres de détention surpeuplés, provoquant un tollé de l’ONU et des groupes de défense des droits de la personne.
Abus en détention
La Libye, riche en pétrole, est plongée dans le chaos depuis qu’un soulèvement soutenu par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a renversé et tué le dictateur de longue date Mouammar Kadhafi en 2011. Le pays d’Afrique du Nord est devenu ces dernières années le point de transit dominant pour les migrants fuyant la guerre et la pauvreté en Afrique et au Moyen-Orient et espérant une vie meilleure en Europe.
Les trafiquants ont exploité le désordre et embarquent des familles désespérées dans des bateaux en caoutchouc ou en bois mal équipés qui calent et sombrent lors de la périlleuse traversée de la Méditerranée centrale. Des milliers de personnes se sont noyées en cours de route, d’autres ont été interceptées et renvoyées en Libye.
Les personnes détenues en sol libyen et celles rapatriées sur la côte sont souvent emmenées dans des centres de détention gérés par le gouvernement où sévit la torture, les agressions sexuelles et d’autres abus. Des enquêteurs mandatés par l’ONU ont déclaré en octobre que les abus et les mauvais traitements infligés aux migrants en mer, dans les centres de détention et aux mains de trafiquants en Libye constituaient des crimes contre l’humanité.
Le mois dernier, le gouvernement libyen a nommé Mohammed al-Khoja, un chef de milice impliqué dans des exactions contre les migrants, à la tête du Département de lutte contre les migrations irrégulières (DCIM). L’agence supervise les centres de détention relevant du ministère de l’Intérieur.
M. al-Khoja était le directeur adjoint du DCIM et a dirigé pendant des années le centre de détention Tarik al-Sikka à Tripoli, qui est connu pour ses abus, notamment les coups, les travaux forcés et un vaste programme de rançon. Il entretient également des liens étroits avec d’autres chefs de milices et trafiquants d’êtres humains dans l’ouest de la Libye sanctionnés par l’ONU.
L’Union européenne (UE), qui a donné à la Libye des millions d’euros pour aider à endiguer le départ de migrants en voyage dangereux, a déclaré lundi qu’elle demandait des éclaircissements au gouvernement libyen sur la nomination de M. al-Khoja.
« Nous pensons qu’il est dans l’intérêt de la Libye d’avoir à des postes importants des personnes qui ont de bons antécédents », a souligné le porte-parole de la Commission européenne Peter Stano.
Vincent Cochetel, l’envoyé spécial de l’agence des Nations unies pour les réfugiés pour la Méditerranée centrale, a dénoncé la nomination la semaine dernière, affirmant : « C’est assez révélateur de la situation dans laquelle nous nous trouvons. N’allez pas en Libye, c’est dangereux. »
La Libye est l’un des principaux bénéficiaires de l’argent du fonds fiduciaire de l’Union européenne pour l’Afrique, dont une grande partie est destinée à des fins migratoires. Le pays d’Afrique du Nord a reçu près d’un demi-milliard d’euros du fonds depuis 2015. L’UE a également contribué à la fourniture de navires et à la remise en état de bateaux plus anciens utilisés par les garde-côtes libyens. Elle a aussi formé des garde-côtes, dont certains sont accusés d’abus de migrants.
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Avec les informations de Lorne Cook, à Bruxelles.