AMQUI, Qc — Accueilli au palais de justice d’Amqui sous les cris de «pourri» et de «fou», Steeve Gagnon a été inculpé mardi de deux chefs d’accusation de conduite dangereuse ayant causé la mort de deux piétons, la veille, dans la petite ville de la vallée de la Matapédia.
Selon la police, le chauffard aurait fauché délibérément avec sa camionnette 11 personnes, dont deux enfants en bas âge, boulevard Saint-Benoît Ouest.
Mardi soir, 24 heures après la tragédie, la petite communauté de 6000 habitants tentait de panser ses plaies. Des citoyens venaient se recueillir à l’église Saint-Benoît-Joseph-Labre où les marches du parvis étaient couvertes de peluches et de fleurs.
«Ça m’a ramené au traumatisme de Lac-Mégantic que j’ai vécu» à titre de ministre du gouvernement Marois, a commenté le chef bloquiste Yves-François Blanchet, qui est venu rendre hommage aux victimes mardi soir, en compagnie de sa députée locale, Kristina Michaud.
«Comment ça peut lacérer une communauté… faudra faire les analyses, parce que la détresse mentale des gens qui en souffrent peut faire souffrir d’autre monde.(…) À un moment on a envie de dire: ok on ne veut plus voir ça. Quelqu’un choisit de vivre à Amqui parce qu’il pense qu’il sera loin des drames.»
Gagnon, âgé de 38 ans, avait un antécédent de conduite avec les facultés affaiblies. La Couronne ignore tout des motifs de son geste.
Gérald Charest, âgé de 65 ans, et Jean Lafrenière, âgé de 73 ans, ont perdu la vie après avoir été heurtés par la camionnette.
Les deux bambins qui avaient été transférés par voie aérienne à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus à Québec ont obtenu leur congé en fin de journée, mais trois autres patients étaient toujours dans un état critique tandis qu’un autre était dans un état stable.
En outre, il y a eu trois blessés mineurs, dont des gens qui ont eu un choc nerveux.
Comparution
Des citoyens attendaient l’arrivée du détenu à l’entrée du palais de justice mardi après-midi et l’ont copieusement injurié. Il a esquissé un léger sourire.
La comparution a été brève. L’accusé est apparu dans la salle du tribunal le regard hagard, la barbe hirsute, vêtu d’un t-shirt gris. Il restera détenu jusqu’à sa prochaine comparution le 5 avril.
On statuera alors sur une enquête sur remise en liberté une fois que toutes les accusations seront déposées, car d’autres accusations seront «assurément» déposées, a indiqué le procureur Simon Blanchette, devant le juge Richard Côté, de la Cour du Québec.
«Il y a un grand nombre de témoins qui doivent encore être rencontrés, donc plus d’informations doivent être colligées, alors nécessairement, il y aura d’autres accusations qui vont être portées», a-t-il expliqué, en mêlée de presse après la comparution.
Il n’a pas voulu s’avancer sur la nature des accusations supplémentaires.
Me Blanchette a expliqué pourquoi des accusations de meurtre prémédité n’ont pas été déposées.
«À ce stade-ci de l’enquête, avant de se positionner sur un meurtre, que ce soit prémédité ou non, on doit laisser les policiers poursuivre leur travail.»
La Couronne a souligné que la défense n’a pas fait de demande d’évaluation pour déterminer si l’accusé est apte à subir son procès.
«Il y a une présomption d’aptitude, donc tout le monde est présumé apte à subir son procès», a poursuivi Me Blanchette.
L’avocat de la défense, Hugo Caissy, a été laconique et n’a pas souhaité commenter sur ses échanges avec son client.
Steeve Gagnon s’étaitrendu lui-même aux policiers lundi après-midi et a avoué rapidement son geste, selon le sergent Claude Doiron, de la Sûreté du Québec.
«Il était en état de conduire, mais qu’en est-il de son état d’esprit au moment où il a posé ces gestes? Cela reste à évaluer», a-t-il indiqué en conférence de presse mardi matin.
Un événement isolé
En conférence de presse à l’heure du midi, la mairesse d’Amqui, Sylvie Blanchette, a tenté de rassurer ses citoyens, qui sont sur les dents après le drame de la veille.
«C’est un individu. C’est pas tous les gens qui ont fait le geste, ok?» a-t-elle souligné.
Mme Blanchette était entourée de tous les élus de la région, le député provincial Pascal Bérubé et la députée fédérale Kristina Michaud, ainsi que du ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, qui s’était déplacé pour l’occasion.
Tous ont témoigné de leur stupéfaction face à la tragédie, qu’ils ne parviennent pas à s’expliquer.
Hôpital d’Amqui
Un autre patient était toujours à l’hôpital d’Amqui, et son état était stable, selon la docteure Mélanie Blanchette, cheffe de médecine générale à l’hôpital.
Les blessés qui se sont rendus à l’hôpital après le drame avaient plusieurs traumatismes et des fractures, a-t-elle indiqué en point de presse devant l’établissement.
«Lorsqu’on transfère des usagers de cette façon-là, on a eu une analyse clinique, une régulation médicale et on a jugé que l’instabilité des patients était d’un niveau tel qu’on devrait les transférer en centre tertiaire», a précisé Stéphane Tremblay, directeur des soins critiques au CHU Québec-Université Laval.
L’âge du reste des blessés va jusqu’à 77 ans, a précisé la SQ.
Des habitants bouleversés
David Morin, un citoyen de Causapscal, a été témoin de ce qui s’est passé lundi et était encore visiblement très secoué.
«Quand tu vois les gens qui se sont fait écraser en avant de toi, ça a pas de bon sens. Les autres, ça panique», a-t-il confié.
«L’affaire, c’est qu’on se connaît tous. Tu pars à la course, pis en même temps tu « slack » un peu, là tu penses à tes enfants, tes chums.»
La paroisse catholique locale a invité les gens qui le désirent à se recueillir à l’église et à déposer des fleurs et des oursons en peluche.
«C’est un message de réconfort», a dit le curé Kindé Cosme Arouko, responsable des 22 paroisses de La Matapédia.
Les cloches devaient également sonner un peu après 15 h 00 mardi et mercredi, afin de commémorer la tragédie.
«Les citoyens ont notre soutien moral et spirituel. Voilà pourquoi nous organisons tout ce que nous pouvons faire de notre côté pour les soutenir. (…) Notre église est toujours ouverte pour les gens qui vont aller se recueillir.»
La présidente de la fabrique, Jeanne-d’Arc Voyer, connaissait les deux personnes qui ont été tuées.
«Je suis abasourdie par un pareil événement. Ça, c’est incontournable. Comme tous les autres, on essaie de voir ce qu’on peut faire.»
Une communauté paisible
En entrevue plus tôt en matinée, la députée bloquiste d’Avignon—La Mitis—Matane—Matapédia, Kristina Michaud, était toujours sous le choc, puisque sa ville d’origine est une petite communauté paisible de 6000 habitants.
«Ce sont des gens que je connais qui ont été touchés, qui ont été témoins, qui sont intervenus», a-t-elle relaté en entrevue à Amqui, près des lieux du drame.
Comme les autres citoyens de la ville, Mme Michaud dit avoir été inquiète pour sa propre mère, qui se promène sur cette rue pour faire ses marches.
«Hier, c’était plusieurs personnes qu’on connaissait, c’est extrêmement troublant. Toute la communauté aimerait que ce soit un mauvais rêve.»