MONTRÉAL — L’époque des interpellations policières aléatoires et sans motif valable, pratique qui cible dans des proportions anormalement élevées les citoyens racisés, sera bientôt révolue à Montréal si la nouvelle politique en telle matière donne les résultats escomptés.
Le directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Sylvain Caron, a présenté mercredi la nouvelle politique qui oblige les interpellations à être basées sur des faits observables. Celle-ci doit entrer en vigueur à l’automne lorsque l’ensemble du corps policier aura suivi une formation à cet effet.
«Pour la première fois, une politique vient établir qu’une interpellation doit être fondée obligatoirement sur des faits observables et sans motifs discriminatoires», a-t-il déclaré en conférence de presse.
«Nous reconnaissons la problématique sociétale que représente le racisme systémique. Nous reconnaissons également qu’il existe des disparités dans les interpellations policières causées par des biais systémiques», a dit M. Caron, ajoutant par la suite que «clairement, il y a des incidents de profilage qui sont survenus dans le passé et on n’en veut pas de profilage».
L’interpellation: essentielle, mais mieux encadrée
Le directeur Caron a précisé qu’il n’est pas question de mettre un terme aux interpellations puisqu’elles sont un outil essentiel de maintien de la paix et de la sécurité des citoyens.
«La pratique policière de l’interpellation est un aspect de prévention, est un aspect de répression, est un aspect qui permet de rechercher parfois des gens disparus ou des gens recherchés. On n’est pas rendus à bannir la pratique d’interpellation, qui est une pratique importante et (une part) importante du travail du policier. Par contre, on est très conscients que les droits des gens sont importants. C’est ce qu’on essaie de garder comme équilibre.»
Elles seront donc dorénavant encadrées de manière stricte et documentées par les policiers qui devront préciser la raison de l’interpellation, le contexte dans lequel elle a eu lieu et les faits observables qui y ont mené. D’autres éléments qui étaient déjà consignés dans les fiches d’interpellation demeurent, tels que l’objectif de l’interpellation, les coordonnées de l’événement, les informations nominatives de la personne interpellée de même que son «identité ethnoculturelle perçue ou présumée», les informations recueillies sur place et le suivi.
Les «motifs obliques» proscrits
Afin d’éviter que des policiers contournent ces contraintes, il est aussi proscrit d’utiliser ce que le SPVM qualifie de «motifs obliques» pour tenter d’identifier une personne. Par exemple, une personne qui marche sur le gazon dans un endroit où un règlement municipal l’interdit, ne pourra pas être interpellée et identifiée.
«On ne veut pas que nos policiers, intentionnellement, utilisent un règlement autre que la raison pour laquelle ils veulent aller voir les gens», a tranché le directeur.
Fait à noter, la politique oblige les policiers à informer une personne de la raison pour laquelle elle est interpellée et une personne interpellée n’a aucune obligation légale de s’identifier, de répondre aux questions du policier et peut quitter les lieux en tout temps puisqu’une interpellation n’est pas une arrestation.
L’interpellation n’est pas non plus une interaction sociale, que les policiers mènent régulièrement avec les citoyens dans de multiples contextes et activités communautaires.
«Il y a beaucoup de beau travail qui se fait dans différents PDQ (postes de quartier). Il y a des projets qui sont en place. Il y a des rapprochements qui se font. Est-ce que c’est assez? Probablement que ce n’est pas assez. On veut améliorer cet aspect des relations avec le service, faire comprendre notre rôle et aussi que nos policiers comprennent les communautés», a fait valoir Sylvain Caron.
Des «coachs» et un objecteur de conscience
Pour soutenir la mise en oeuvre de cette politique, le SPVM met sur pied une équipe de «coachs» en interpellation policière pour accompagner les patrouilleurs.
Il confie également au sociologue Frédéric Boisrond un mandat de conseiller stratégique dont le rôle, en fait, sera d’agir comme critique de la mise en oeuvre de ce que le directeur Caron qualifie de «virage important dans la culture policière».
Présent à la conférence de presse, M. Boisrond a montré ses couleurs en toute franchise lorsqu’on lui a demandé s’il croyait à ce virage: «Je n’ai pas à croire à ce qu’ils disent maintenant. C’est à eux de prouver que ce qu’ils disent, que ce qu’ils vont faire, va être effectivement réalisé. Ils ne m’ont pas demandé d’intervenir dans leur façon de travailler. Ils m’ont demandé de critiquer leurs méthodes, de critiquer leurs résultats.»
Le SPVM demande aussi aux chercheurs qui avaient mis au jour le biais systémique du SPVM de suivre l’évolution de la situation afin de produire un rapport et des recommandations en lien avec l’application de cette politique.
En octobre dernier, ces chercheurs avaient produit un rapport accablant dans lequel ils évitaient d’utiliser le terme de profilage racial ou de racisme systémique, mais qui démontrait clairement l’existence d’un biais systémique, alors que les femmes autochtones étaient 11 fois plus susceptibles d’être interrogées que les femmes blanches; que les Montréalais noirs et arabes étaient entre quatre et cinq fois plus susceptibles d’être soumis à des interpellations.