Les Inuites enceintes seraient plus exposées aux PFAA que les autres Canadiennes

MONTRÉAL — Les femmes enceintes du Nunavik sont deux fois plus exposées à certains composés chimiques produits loin de chez elles qu’un échantillon représentatif de Canadiennes du même groupe d’âge, constate une étude dirigée par une chercheuse de l’Université Laval.

«Ces contaminants-là qui sont en augmentation, c’est une injustice environnementale additionnelle, a dénoncé la professeure Mélanie Lemire, de la Faculté de médecine de l’Université Laval et du Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval. C’est une préoccupation additionnelle.»

Les acides perfluoroalkylés (PFAA) sont des composés chimiques qui entrent notamment dans la fabrication de traitements hydrofuges ou antitaches, de revêtements antiadhésifs, d’emballages de nourriture, de peintures, de cosmétiques et de produits de nettoyage.

Lors d’une exposition foetale, ces composés sont associés à des perturbations des fonctions hormonales, rénales, cardiométaboliques et immunitaires.

«À mes yeux, en tant que chercheuse en santé environnementale, ce sont les nouveaux BPC», a lancé Mme Lemire, en référence aux biphényles polychlorés dont l’importation, la fabrication et la vente sont interdites au Canada depuis 1977 en raison de la menace qu’ils représentent pour l’environnement et la santé humaine.

Exposition élevée

Mme Lemire et ses collègues ont mesuré l’évolution de la concentration de différents PFAA dans le sang de 279 femmes inuites enceintes entre 2004 et 2017.

S’ils ont constaté une diminution de la concentration des PFAA faisant l’objet d’une réglementation, ils ont aussi mesuré des hausses dépassant parfois 20 % des concentrations des PFAA à longue chaîne. Ceux-ci proviennent possiblement de la dégradation de composés similaires, les FTOH.

«Les PFAA à longue chaîne sont des molécules plus récentes, qui sont apparues, disons, en 2011 ou 2012, et qu’on a commencé à également mesurer au Nunavik, a résumé Mme Lemire. C’est là qu’on voit une tendance à la hausse, alors que celles qui sont réglementées seraient à la baisse.»

Leurs analyses ont montré qu’en 2016-2017, l’exposition des femmes enceintes inuites à l’ensemble des PFAA était deux fois plus élevée que celle mesurée dans un échantillon comparable de Canadiennes.

Le recoupement avec le régime alimentaire a permis de mettre en évidence une association entre la concentration sanguine de PFAA et la consommation d’aliments traditionnels.

«Les aliments traditionnels sont au coeur de la culture inuite et la dernière chose qu’on veut, c’est que les gens s’éloignent de leur culture et de leurs traditions alimentaires à cause des contaminants, a dit Mme Lemire. Le fil est très mince, mais ils ont le droit de savoir. Ce sont des résultats qui leur appartiennent.»

Pyramide alimentaire

La réglementation qui entoure ces composés est tellement nébuleuse que même Mme Lemire n’est pas certaine de s’y retrouver.

«Il y a un flou, a-t-elle admis. Avec des collègues au fédéral on essaie de comprendre ce qui est réglementé et ce qui ne l’est pas, qu’est-ce qui est réglementé à quel niveau, et ce n’est pas très clair. Et pour rajouter à la complexité, il y a d’autres familles de contaminants qui sont similaires, les FTOH, qui se dégradent en PFAA.»

Les PFAA plus anciens sont réglementés à l’échelle internationale. Les PFAA à longue chaîne, plus récents, font l’objet d’une réglementation en Amérique du Nord, mais non au niveau planétaire. Et comme les contaminants ne connaissent pas de frontières, ils peuvent venir s’accumuler dans l’Arctique en provenance d’autres régions du monde, comme l’Asie. Certains PFAA se retrouvent aussi dans des biens de consommation importés au pays.

Peu biodégradables, les PFAA persistent dans l’environnement et peuvent être transportés sur de longues distances par voie atmosphérique ou océanique.

C’est ainsi qu’ils se retrouvent dans la chaîne alimentaire de l’Arctique et qu’ils s’accumulent dans les tissus des organismes vivants à mesure que l’on progresse vers le sommet de la pyramide alimentaire. Des concentrations élevées de PFAA sont mesurées dans plusieurs espèces sauvages de l’Arctique, malgré l’absence de sources locales importantes d’émissions.

L’étude a constaté une association entre la consommation d’aliments traditionnels provenant de la mer et une exposition plus importante aux PFAA.

«(Les Inuits) ne devraient pas avoir à arrêter de manger des aliments traditionnels», a dit Mme Lemire.

Pas seulement les Inuits

Il ne faudrait toutefois pas se leurrer en pensant que ce problème ne touche que les populations inuites isolées dans l’Arctique, prévient la chercheuse.

«Ce qu’on observe dans le contexte autochtone des Premières nations, on pourrait très bien l’observer dans une communauté allochtone, a-t-elle précisé.

«Ce sont des contaminants qui sont dans nos biens de consommation. C’est une question qui nous concerne tous. Ces contaminants-là méritent d’être étudiés dans différents compartiments de notre population.»

Les conclusions de cette étude ont été publiées par le journal scientifique Environmental International.