OTTAWA — L’attitude combative de Justin Trudeau à l’égard de certains premiers ministres provinciaux n’est peut-être pas qu’une rhétorique de campagne: le programme des libéraux promet de traduire ce rapport de force en posture gouvernementale sur le fédéralisme canadien.
La plate-forme libérale adopte ainsi la ligne dure face à une lenteur présumée des provinces à éliminer les obstacles au commerce intérieur et à identifier les projets d’infrastructure prioritaires qui seraient admissibles au financement d’Ottawa. Les libéraux préviennent que s’ils sont réélus, ils prendront le taureau par les cornes, si nécessaire, face aux provinces qui se font tirer l’oreille.
Au sujet des infrastructures, la plate-forme affirme que «certaines provinces se livrent à des jeux politiques en retardant l’approbation des projets, ce qui met en péril de bons emplois et notre qualité de vie».
Dans un deuxième mandat, un gouvernement libéral exigerait que toutes les provinces et tous les territoires définissent et approuvent leurs priorités d’infrastructure à long terme dans un délai de deux ans. «Les fonds non affectés à des projets précis d’ici la fin de 2021 seront réinvestis directement dans les communautés par le biais d’un supplément au Fonds de la taxe sur l’essence fédéral», lit-on dans la plate-forme libérale. Autrement dit, Ottawa passerait au-dessus de la tête des provinces pour investir directement dans les municipalités, des «créatures provinciales».
Au sujet des barrières commerciales intérieures, la plate-forme précise qu’un gouvernement libéral réélu exercera «activement la compétence fédérale, au besoin, pour aider à faire progresser le libre-échange au Canada».
Trois semaines à peine après l’assermentation de son gouvernement en 2015, M. Trudeau se faisait plus conciliant, alors qu’il s’apprêtait à organiser, comme il l’avait promis, la première rencontre fédérale-provinciale annuelle des premiers ministres depuis un bon bout de temps. «Les défis auxquels nous sommes confrontés en tant que pays exigent un véritable partenariat entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires, ce qui ne peut être réalisé qu’en s’asseyant ensemble et en engageant un dialogue ouvert et continu», déclarait alors M. Trudeau.
«Gaspiller une saison de construction»
Il faut dire qu’à cette époque, le premier ministre Trudeau était entouré de gouvernements libéraux dans plusieurs provinces, dont l’Ontario et le Québec. Depuis, la plupart d’entre eux ont été remplacés par des gouvernements conservateurs résolument plus hostiles et peu enclins à faire avancer le programme libéral fédéral. François-Philippe Champagne, ministre de l’Infrastructure et des Collectivités, répète que les libéraux veulent toujours travailler avec les provinces, mais il prévient que «nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller une saison de construction».
Le gouvernement Trudeau a affecté 180 milliards $ sur 12 ans à des projets d’infrastructure. Le site internet d’Infrastructure Canada montre de grandes différences entre les provinces en ce qui concerne la désignation de projets admissibles à leur part du deuxième versement de ce financement fédéral. Par exemple, l’Alberta et la Colombie-Britannique ont déjà approuvé des projets représentant environ 60 pour cent de leur part du gâteau, comparativement à 35 pour cent au Québec, environ 10 pour cent en Ontario et moins de 10 pour cent au Manitoba.
En ce qui concerne le commerce intérieur, le gouvernement fédéral dispose du pouvoir constitutionnel de veiller à ce que les marchandises circulent librement d’une province à l’autre — un pouvoir qu’il a été instamment prié d’utiliser par ceux qui souhaitent éliminer les obstacles au libre-échange à travers le pays.
Des sources proches des libéraux soutiennent que la menace «d’exercer activement la compétence fédérale, au besoin», ne signifie pas nécessairement qu’un gouvernement Trudeau réélu aurait recours à ce pouvoir constitutionnel: il s’agirait plutôt de montrer à quel point les libéraux sont sérieux dans la résolution de ce problème.
Les libéraux pourraient aussi faire tout ce qui est en leur pouvoir pour supprimer les obstacles au commerce qui relèvent uniquement du gouvernement fédéral, dans l’espoir d’embarrasser les provinces qui traînent de la patte. Cette approche avait été utilisée en avril dernier lorsque le gouvernement Trudeau a présenté un projet de loi visant à supprimer l’obligation pour l’alcool transféré d’une province à une autre de passer par une régie provinciale.