OTTAWA — Les projets de loi passent au-delà de deux fois plus de temps en chambre haute depuis les réformes du gouvernement de Justin Trudeau — un rythme tantôt interprété comme le gage d’un travail rigoureux, tantôt comme un signe des failles du Sénat.
Selon une analyse de La Presse canadienne, les projets de loi d’initiative ministérielle émanant de la Chambre des communes passaient en moyenne 12 jours de séance au Sénat de 2011 à 2015, lorsque la chambre était contrôlée par des conservateurs.
Or, au cours des quatre dernières années, le temps moyen passé par un projet de loi au Sénat a bondi à 31 jours. Ce chiffre peut s’avérer encore plus élevé selon la manière que l’on tient compte du temps passé par les deux chambres à traiter les amendements que propose le Sénat.
Ce ralentissement est calculé en fonction du nombre de jours de séance du Sénat entre le moment où un projet de loi y est présenté et celui où il est adopté en troisième lecture. Les moyennes excluent les projets de loi de crédits, qui sont rarement débattus en profondeur.
Selon Yuen Pau Woo, qui est à la tête du plus grand groupe de sénateurs de la chambre, ce nouveau rythme est en partie le «reflet du Sénat qui fait son travail».
M. Woo, qui agit à titre de «facilitateur» pour le Groupe des sénateurs indépendants, explique les plus longs délais par davantage de délibérations et un examen plus approfondi des textes. Son groupe est une association informelle de sénateurs sans affiliations partisanes officielles, formée pour la distribution d’éléments logistiques tels que les budgets et les sièges au sein de comités.
Par ailleurs, M. Woo souligne que le Sénat a modifié une bonne proportion de projets de loi, soit 29 des 65 textes émanant du gouvernement, si l’on exclut encore une fois les projets de loi de crédits. Traditionnellement, le parti qui détenait la majorité à la Chambre des communes et au Sénat pouvait s’attendre à ce que ses projets de loi ne soient pas entravés.
«Je pense que nous avons très bien réussi le test d’un Sénat indépendant», avance M. Woo.
Il ajoute toutefois qu’une partie des retards sont selon lui imputables aux sénateurs conservateurs, «qui ont utilisé les règles du Sénat pour retenir les projets de loi et repousser leur adoption».
Une «fabrication», selon Stephen Kelly, le chef de cabinet de Larry Smith, leader de l’opposition conservatrice au Sénat.
M. Kelly fait valoir que les sénateurs conservateurs remplissent leur rôle en représentant les Canadiens qui s’opposent aux politiques du gouvernement de Justin Trudeau.
«Si ça prend plus de temps, si c’est un peu plus long que ce que certaines personnes espéraient, et bien qu’il en soit ainsi», a-t-il lancé.
Il relève néanmoins un «certain degré d’incohérence» dans la structure actuelle de la chambre, avec par exemple l’incapacité du représentant du gouvernement au Sénat, Peter Harder, de limiter le débat en invoquant l’attribution de temps.
M. Woo reconnaît lui aussi que certaines règles et procédures du Sénat pourraient être revues.
Les deux hommes s’entendent également sur le fait que les élections fédérales marqueront un tournant dans le fonctionnement du Sénat, qui pourrait poursuivre dans cette voie de réforme ou redevenir expressément divisé.
Le chef conservateur Andrew Scheer a déjà soulevé la possibilité de ramener les nominations partisanes s’il accédait au pouvoir, tandis que le premier ministre Justin Trudeau compte sans doute renforcer son système de nomination des sénateurs qui ne répondent pas à un whip.
«Cette question devrait être au premier plan dans les élections, car le Sénat est une institution fondamentale de notre démocratie et les Canadiens doivent y prêter attention», soutient M. Woo.