OTTAWA — Chaque jour, l’interprète Nicole Gagnon se réveille et se dirige vers le travail, craignant de subir une perte d’audition supplémentaire — un sens encore plus vital pour son gagne-pain que pour de nombreux travailleurs.
Après neuf mois de traduction simultanée de parlementaires qui s’expriment avec un son flou et une mauvaise connexion internet, Mme Gagnon dit qu’elle et d’autres traducteurs employés par le gouvernement fédéral souffrent de blessures allant d’acouphènes, qui provoquent des bourdonnements dans les oreilles, aux maux de tête, aux nausées, en passant par un «choc acoustique»
Mme Gagnon affirme qu’elle est «définitivement plus fatiguée», elle qui cumule 35 ans d’expérience comme interprète, dont sept à la pige au Parlement.
Sept répondants sur dix à un nouveau sondage ont connu des problèmes auditifs qui les ont obligés à partir en congé de maladie, selon l’association représentant quelque 70 interprètes accrédités qui traduisent du français vers l’anglais et vice versa lors des travaux du gouvernement fédéral.
Le problème n’est pas près d’être réglé, alors que les députés se préparent à entamer des travaux virtuels à la Chambre des communes la semaine prochaine, tout comme les sénateurs au début du mois de février, même si environ 15 % des interprètes permanents sont en congé. De plus en plus d’interprètes à la pige s’absentent également du travail.
La prolifération des procédures sur Zoom a également entraîné des quarts de travail plus courts et plus de demandes de transfert vers des affectations non virtuelles pendant la pandémie de COVID-19, ce qui a provoqué une diminution du nombre de traducteurs disponibles.
«Comme de plus en plus d’interprètes permanents ont subi des blessures au cours de ces premiers jours, ils ont commencé à faire appel de plus en plus aux interprètes indépendants comme moi. Mais nous subissons maintenant les mêmes blessures en raison du travail impliqué», a expliqué Mme Gagnon.
«Les systèmes n’étaient pas destinés à l’interprétation.»
Du «son toxique»
Un flux constant de son de mauvaise qualité et de fortes boucles de rétroaction créent ce que la section canadienne de l’Association internationale des interprètes de conférence appelle du «son toxique».
De nombreux Canadiens sont aux prises quotidiennement avec les frustrations de la visioconférence, mais Mme Gagnon dit que le fait de parler constamment au-dessus de l’audio de députés à décibels élevés ajoute un niveau de tension physique et de stress mental qui a poussé certains traducteurs au point de rupture.
«Si vous devez faire un effort supplémentaire pour essayer de comprendre ce qui est dit — sans parler du stress que vous ressentez lorsque vous perdez le son à mi-chemin ou lorsque l’image se fige — tout cela brise votre concentration. Vous devez donc vous concentrer davantage, et cette concentration provoque une fatigue excessive», a-t-elle indiqué.
Le Bureau fédéral de la traduction n’avait pas répondu à La Presse Canadienne au moment d’écrire ces lignes concernant les demandes des traducteurs pour une meilleure qualité sonore et une réduction des heures de travail.
L’automne dernier, une étude a révélé que le Canada se classait au 13e rang sur 81 pays pour le nombre d’incidents de choc acoustique subis par les interprètes, six répondants canadiens sur dix ayant signalé des symptômes typiques de ce traumatisme.