Les usagers de CHSLD auront le droit d’installer des caméras de surveillance

MONTRÉAL — Les usagers des centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) auront bientôt le droit d’installer des caméras de surveillance dans leur chambre sans avoir à en informer l’établissement et sans que les employés qui y travaillent ne le sachent.

Le projet de règlement publié mercredi par le gouvernement Couillard donne ainsi toute la latitude aux usagers et à leurs proches de mettre en place des équipements de surveillance, mais seulement dans le but d’assurer la sécurité de l’usager, de ses biens et de s’assurer de la qualité des soins et services ou de repérer un cas de maltraitance.

Le règlement, qui vient baliser l’usage de caméras, est accueilli avec un grand soulagement par le Regroupement provincial des comités d’usagers (RPCU), qui réclamait ce droit depuis longtemps et qui craignait surtout que ce soit l’établissement qui ait le pouvoir de décider d’une telle installation et de son usage.

«C’est le résidant lui-même qui décide de mettre une caméra parce qu’il est chez lui. C’est un grand pas», a déclaré le directeur du RPCU, Pierre Blain, en entrevue avec La Presse canadienne.

«Le seul bémol qu’on a, c’est qu’il faut avoir une raison, a-t-il ajouté, mais quand même, c’est la personne elle-même qui décide qu’elle a une raison, pas l’établissement.»

La nouvelle est aussi mieux accueillie dans le milieu syndical que le laissaient croire les premiers échos, bien que des appréhensions demeurent. La Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) estime qu’il s’agit d’une bonne initiative si elle permet de débusquer les vols ou la maltraitance, mais elle redoute toujours de voir ces appareils transformés en outils d’évaluation du travail des employés menant à des sanctions qui n’ont rien à voir avec la sécurité de l’usager.

«Une fois que l’usager décide d’interpeller l’employeur, qu’est-ce qui va arriver?», s’est interrogé le président de la FSSS, Jeff Begley, lors d’un entretien téléphonique.

«Ça, ce n’est aucunement encadré et c’est là qu’on a une préoccupation.»

Par contre, M. Begley estime que ces appareils de surveillance pourraient aussi témoigner de problèmes dont les syndiqués aimeraient se saisir: «Est-ce qu’on pourrait s’en servir pour interpeller le ministre pour indiquer qu’on voit clairement que le (…) manque de personnel et le manque de financement posent un problème?» Le projet de règlement ne répond toutefois pas à cette question.

Les usagers qui installent des caméras peuvent tout de même en informer l’établissement. En retour, celui-ci doit aviser tous ceux qui entrent dans le CHSLD de leur présence, mais il ne peut pas préciser dans quelle chambre ces appareils se trouvent.

Facebook et les enfants

Parmi les balises encadrant l’utilisation de caméras, celles-ci ne peuvent être utilisées pour capter du son ou des images d’autres usagers dans une même chambre ou captés à l’extérieur de la chambre. Elles ne peuvent être installées dans une salle de bains, à moins qu’un enjeu de sécurité ou de maltraitance ne le justifie.

Aussi, un point d’importance, le représentant de l’usager — terme qui désigne les proches et, habituellement, ses enfants — ne peut pas utiliser une caméra en continu. En d’autres termes, on ne peut surveiller le bénéficiaire à distance ou sur une base continuelle à moins d’avoir une justification précise pour une telle activité.

«Le fait qu’ici on ne vise que le représentant et non pas l’usager, ce que ça sous-tend, c’est la protection de la vie privée de l’usager», a expliqué à La Presse canadienne Me Marie Annick Grégoire, professeure spécialisée en droit de la personne à l’Université de Montréal.

Selon elle, la présence de caméras ne porte pas atteinte au droit à la vie privée des travailleurs puisque le règlement prévoit une utilisation «justifiée». Cependant, elle note que l’intention de cette provision semble plutôt de protéger le bénéficiaire contre une surveillance de ses proches.

Une autre portion du règlement qui inquiète par ailleurs la FSSS est le fait que la responsabilité «d’assurer la confidentialité et la sécurité des images» soit cédée à l’usager et ses représentants.

Jeff Begley note que l’article qui prévoit que «la communication des images et des enregistrements doit être limitée et effectuée de manière à protéger l’identité des personnes dont l’image ou la voix a été captée» laisse la porte grande ouverte à des écarts périlleux.

«On avait prévu (dans le projet de règlement initial) qu’il n’y aurait pas de publication possible sur les Facebook et autres endroits publics. Maintenant, ce sera permis avec certaines restrictions, mais c’est au propriétaire de l’enregistrement — le bénéficiaire ou son représentant — de respecter les contraintes», s’inquiète-t-il.

«Si jamais, à partir de ce qui est publié sur Facebook, on est capable d’identifier l’endroit où ça se passe, les journalistes — ça va être leur devoir, même — vont chercher à savoir c’est qui, c’est où.»