Les variants seront bientôt dominants et risquent de provoquer une troisième vague

MONTRÉAL — «Nous ne sommes pas en fin de pandémie. Les deux à trois prochains mois seront une période difficile à traverser.»

C’est en ces termes très clairs que le docteur Gaston De Serres, épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), a expliqué vendredi les conséquences de la progression fulgurante des variants de la COVID-19, progression susceptible d’entraîner une troisième vague très bientôt.

Les projections de l’INSPQ démontrent que les variants, plus transmissibles et plus pathogènes que la souche originale, seront dominants dans toutes les régions du Québec à compter du début d’avril, soit dans quelques jours à peine. Un variant est considéré «dominant» lorsqu’il représente plus de la moitié des cas.

Mesures actuelles insuffisantes

«Ça ne veut pas dire nécessairement que nous allons être dans une troisième vague. La troisième vague va dépendre des mesures, des décisions et de l’adhésion de la population aux recommandations de santé publique, des décisions qui se font en ce moment», a précisé le docteur Mathieu Maheu-Giroux, épidémiologiste à l’Université McGill.

Par contre, ajoute-t-il, si les mesures actuellement en place avaient réussi à contrôler la souche originale, elles ne sont «pas suffisantes pour contrôler l’augmentation des variants».

«Lorsqu’on va être rendus avec 100 % de nouveaux variants, on a affaire à une autre bibitte. Ça va être beaucoup plus difficile à contrôler», a averti l’expert.

Les variants sont d’ailleurs déjà dominants dans certaines régions comme celles de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches et le seront «très bientôt» en Estrie, en Mauricie, dans le Centre-du-Québec et au Bas-Saint-Laurent, notamment. Des régions comme l’Outaouais inquiètent particulièrement les experts de l’Institut, qui y constatent non seulement une forte croissance des cas, mais aussi une progression très marquée des variants. 

La population baisse la garde

Parallèlement, les sondages de l’Institut démontrent que la population adhère de moins en moins aux mesures sanitaires, un phénomène inquiétant qui est compliqué par le relâchement des mesures annoncé récemment par le gouvernement Legault.

Bien qu’ils ne veuillent se prononcer quant à la possibilité d’imposer de nouvelles mesures ou un resserrement des mesures actuelles telles que de remettre tout le Québec en zone rouge par exemple, les experts ne cachent pas que la situation actuelle — avec une population qui baisse la garde et les assouplissements annoncés — mène droit vers une période difficile de deux ou trois mois.

«C’est la décision du gouvernement, mais c’est certain qu’au niveau épidémiologique, de voir que dans le contexte actuel, même avant l’ouverture de certaines activités, on n’avait pas le contrôle sur les variants, ça n’augure pas bien», affirme le docteur De Serres.

«Il y avait déjà, avant les changements de couleur, une montée des variants.»

Cette fois, les adultes plus jeunes écoperont

Les experts de l’Institut notent que la vaccination des personnes de 65 ans et plus devrait grandement réduire les taux d’hospitalisation et de mortalité, mais ils avertissent que la plus grande transmissibilité et les taux de positivité chez les plus jeunes se traduiront par davantage de conséquences importantes pour ceux-ci. En d’autres termes, même si la plupart des adultes et des jeunes souffrent moins des conséquences de la COVID-19, s’ils sont plus nombreux à être infectés, le nombre de ceux qui subiront des conséquences sévères sera nécessairement plus élevé, d’autant plus que les variants sont plus pathogènes que la souche originale.

«S’il y a beaucoup de jeunes qui sont touchés par les variants, éventuellement il y en a un certain nombre qui seront hospitalisés pour une maladie sévère», tranche le docteur De Serres.. 

Tout n’est pas sombre, toutefois: d’après Gaston De Serres, on peut quand même entrevoir «un bel été» en raison de la cadence accélérée de vaccination, mais seulement une fois que cette nouvelle menace sera jugulée.

«Je suis assez optimiste qu’on puisse avoir un bel été parce que d’ici au mois de juin on aura une proportion de la population vaccinée qui devrait devenir vraiment substantielle, à moins que les gens ne viennent pas se faire vacciner, ce qui serait tout à fait triste et dommageable pour le contrôle de la transmission.»

Déjà, l’opposition demande au gouvernement Legault de réagir. Le porte-parole de Québec solidaire en matière de santé, Gabriel Nadeau-Dubois, demande au ministre de la Santé, Christian Dubé, de dévoiler son plan face à une éventuelle troisième vague.

«Si les cas continuent d’augmenter, le gouvernement ne doit pas hésiter à faire des choix difficiles pour éviter de perdre à nouveau le contrôle, a-t-il dit par voie de communiqué. Personne ne veut revivre les montagnes russes des deux premières vagues.»

Projections canadiennes

À Ottawa, la menace que représentent les variants a poussé l’administratrice en chef de l’Agence de la santé publique du Canada à faire un rare commentaire sur les décisions des autorités provinciales.

«On peut ouvrir les restaurants à l’extérieur, par exemple, prudemment, lentement, étape par étape, avoir plus de temps entre chaque étape pour (alléger) les mesures», a proposé Theresa Tam.

«Mais, ce n’est pas le moment (d’alléger) les mesures maintenant, surtout si tu es dans les plus grandes provinces où il y a une augmentation des variants. On a besoin de (faire preuve de) plus de prudence, selon moi», a-t-elle insisté, dans une déclaration qui semblait viser l’Ontario et le Québec. 

«Je peux comprendre peut-être que la Dre Tam dise »il faut moins d’assouplissements », mais en même temps, (…) de plus en plus de groupes en veulent plus d’assouplissements (…). La responsabilité qu’on a, au gouvernement, c’est de trouver un équilibre», lui a répondu le premier ministre François Legault, fraîchement vacciné, à Montréal.

«Je m’excuse pour la Dre Tam mais moi, je fais confiance à la santé publique du Québec», a-t-il tranché.

Dre Tam présentait les plus récentes projections du parcours de la pandémie au pays, telles que préparées par son agence. On y calcule que le Canada dépassera probablement le million de cas de COVID-19 au début avril.

Et puisque les variants sont plus contagieux et se répandent de plus en plus au pays, surtout le variant qui a d’abord été identifié au Royaume-Uni, Dre Tam réclame des mesures plus strictes.

«Ce modèle prédit que les mesures actuelles de santé publique au niveau communautaire seront insuffisantes pour contrôler la croissance rapide», a-t-elle averti.