MONTRÉAL — C’est la rengaine éternelle de plusieurs adolescents: ce qu’ils apprennent à l’école est futile et ne leur sera d’aucune utilité dans leur vie de tous les jours.
Des élèves du cours de physique de secondaire 5 de Jean-Marc Perreault, à Lavaltrie, seraient bien mal venus d’exprimer de telles doléances, puisque ces connaissances leur ont permis d’écrire un tout petit chapitre de l’histoire du Québec.
Au cours des dernières semaines, l’escouade de «chasseurs d’épaves» qu’il a mise sur pied a répertorié dix épaves ne se trouvant sur aucune carte et seize qui n’étaient pas inscrites au répertoire du ministère de la Culture.
«On dirait qu’on a trouvé dans notre région, près de St-Ignace-de-Loyola, un véritable cimetière de bateaux, surtout des barges de transport, a dit M. Perreault. C’est à se demander si des entreprises auraient choisi ce secteur-là par exprès pour se débarrasser de navires et de bateaux qui n’étaient plus en état de continuer.»
L’histoire se souviendra à jamais de l’identité de ceux qui ont trouvé ces épaves, puisque le nom de chaque participant est inscrit sur le formulaire qui est transmis au gouvernement du Québec pour officialiser la découverte.
Pas mal pour des adolescents qui, dans plusieurs cas, s’étaient inscrits à ce cours sans trop savoir pourquoi ils le faisaient.
Héritage du commandant Cousteau
M. Perreault ne s’en cache pas: sa passion pour la science, la plongée sous-marine et l’exploration lui a été directement inspirée par les exploits du légendaire commandant français Jacques-Yves Cousteau.
Peu surprenant, donc, qu’il ait baptisé son navire «La Petite Calypso» et que tous les membres de son escouade de chasseurs d’épaves portent la tuque rouge dont s’affublait souvent le célèbre explorateur des fonds marins.
Le projet a commencé de manière bien modeste, quand l’enseignant doublé d’un plongeur aguerri s’est muni d’un petit sonar pour planifier ses descentes sous l’eau.
L’équipement s’est amélioré au fil des découvertes d’épaves oubliées; M. Perreault a éventuellement invité trois de ses élèves à l’accompagner, dont un qui était atteint du syndrome d’Asperger.
«J’ai vu tout de suite que lui, ça l’a vraiment passionné, a-t-il dit. Il a adoré faire ça. Je me suis dit que c’était en plein le genre d’élève qui aimerait ce genre d’activité: ce n’est pas un sportif, c’est plus un intello qui s’intéresse à tout.»
Une fois toutes les autorisations réglementaires et bureaucratiques obtenues, le moment était venu de passer à l’étape suivante.
Permission de monter à bord
La pandémie l’a contraint à restreindre son recrutement à une seule bulle classe, mais ce sont quand même 11 de ses 28 élèves qui ont demandé la permission de monter à bord de La Petite Calypso quand il a demandé qui serait intéressé à partir à la recherche d’épaves avec lui.
Cet engouement est d’autant plus remarquable que les expéditions — que M. Perreault finance entièrement de sa poche, à part quelques commandites — se déroulent uniquement pendant les temps libres des jeunes ou lors des journées pédagogiques. Pas question de rater une seule heure d’école pour ça.
«J’ai été surpris qu’il y ait tant d’élèves qui soient intéressés par l’activité, a admis M. Perreault qui, en tant qu’auxiliaire de la Garde côtière, accorde la plus grande importance à la sécurité de ses jeunes.
«Notre école, l’École de la Rive, à Lavaltrie, est sur le bord de l’eau, on est à côté du fleuve et il y en a qui n’avaient jamais embarqué sur un bateau de leur vie. Ça leur faisait aussi découvrir leur milieu vu de l’eau. En se promenant, on parlait aussi de la protection des berges, de navigation, de plein d’autres choses. Ça tisse des liens entre les élèves, mais aussi entre les élèves et l’enseignant.»
Si certains se sont rapidement manifestés, d’autres ont eu besoin d’être convaincus. C’est notamment le cas de deux jeunes explorateurs qui souffrent d’un trouble du spectre de l’autisme.
Ces «petits spéciaux», comme il les appelle affectueusement, seront habituellement absents des activités sportives ou sociales qui font courir les autres adolescents de leur âge. Il faut donc faire preuve d’insistance et de persuasion.
«Il y en a qu’il faut aller chercher, qui sont durs à faire bouger et à sortir de leur zone de confort, a dit M. Perreault. Mais une fois qu’on insiste et qu’ils ont participé, ah ben là, tabarouette… Ce sont les participants les plus actifs et les plus excités. Je voyais qu’ils étaient contents d’avoir participé à ça.»
Leur implication le touche d’autant plus qu’il est lui-même le père d’un fils lourdement autiste, avec qui les communications sont pratiquement impossibles.
«Ceux qui sont dans ce spectre-là, mais de haut niveau et fonctionnels, (…) on dirait qu’ils ont une attirance pour la science et la découverte, surtout quand c’est le temps de voir ce qui se passe sur un écran et de remarquer des petits détails, a rappelé M. Perreault.
«Je pense un peu à (mon fils) quand je fais ces activités-là avec eux. J’aurais aimé ça pouvoir les faire avec lui, mais au moins j’espère que les parents de ces enfants-là sont heureux de les voir participer à quelque chose comme ça, qui les sort un peu du banc d’école.»
Les découvertes se multiplient
Longueurs d’ondes, changements de milieux, propriétés optiques… Le projet de chasseurs d’épaves permet aux jeunes de mettre en application certaines notions apprises en classe et qui, autrement, resteraient abstraites.
Le sonar est d’ailleurs souvent cité en exemple dans la littérature que M. Perreault utilise avec ses jeunes.
«C’est à peu près la seule chose qui est vraiment accessible et qu’on peut aller sur le terrain expérimenter pour de vrai, a-t-il expliqué. J’avais le goût de leur faire vivre un peu la matière et de faire des découvertes.»
Les répercussions du projet pourraient un jour dépasser la simple découverte d’épaves oubliées, car certains élèves réfléchissent déjà à une carrière dans le domaine médical. Puisque les images de sonar peuvent ressembler aux images d’une échographie, quelques-uns se découvrent soudainement un intérêt — voire un talent — pour l’interprétation et l’analyse d’images.
Les résultats n’ont d’ailleurs pas tardé. Avant d’être confinés à la terre ferme par l’arrivée de l’hiver, les explorateurs ont trouvé dix épaves qui ne se trouvaient sur aucune carte et 16 dont le ministère de la Culture n’avait jamais entendu parler.
La plus impressionnante du lot est un mastodonte de près de 60 mètres. Quand ils ont plongé sur l’épave, M. Perreault et son partenaire ont trouvé les restes d’un navire en bois dont la coque était partiellement recouverte de métal. L’hélice mesurait environ 2,6 mètres de long.
Il croit qu’il s’agit d’un navire à vapeur et prédit que cette «épave (qui) semble inconnue des plongeurs québécois (…) pourrait devenir un site de plongée fort apprécié».
«Quand on voit l’épave apparaître à l’écran, surtout si c’est une nouvelle épave, c’est vraiment excitant de dire qu’on vient de trouver quelque chose que personne n’a vu auparavant et qui n’est pas sur les cartes», a dit M. Perreault.
Il s’explique quand même mal la présence d’autant d’épaves non répertoriées dans un secteur aussi limité.
«On en a trouvé trois dans une grande proximité, dont deux qui avaient des traces d’incendie, a-t-il dit. C’est à se demander ce qui s’est passé dans ce coin-là. Il y a vraiment un mystère. On va essayer de faire des recherches pendant l’hiver.»
L’hiver a beau être arrivé, les chasseurs d’épaves de M. Perreault ne chômeront pas pour autant d’ici le retour du printemps.