OTTAWA — La tentative de la CBC d’obtenir les lettres de mandat des ministres du gouvernement Ford de 2018 en Ontario va au «cœur même» de ce que visent les régimes d’accès à l’information, a plaidé mardi un avocat du diffuseur public devant le plus haut tribunal du pays.
Cet accès à l’information vise précisément à favoriser un public informé, un gouvernement responsable et, ultimement, le processus démocratique, a soutenu mardi Justin Safayeni devant la Cour suprême du Canada.
Le plus haut tribunal a entendu mardi en dernier appel des plaidoiries concernant la tentative du gouvernement ontarien de bloquer la publication des 23 «lettres de mandat» que le premier ministre Doug Ford avait écrites à ses ministres il y a cinq ans, après sa première accession au pouvoir en 2018.
Le gouvernement Ford soutient que la divulgation des lettres de mandat révélerait la substance des délibérations privées du premier ministre et de son cabinet, enfreignant un principe clé du système parlementaire de type «Westminster».
Le comité de sept juges de la Cour suprême a mis la décision en délibéré, mardi, après avoir entendu les parties et plusieurs intervenants.
Le litige a commencé lorsque le bureau du Conseil des ministres de l’Ontario a refusé la demande d’accès à l’information de la CBC pour les lettres de mandat, invoquant l’exemption accordée aux délibérations du Conseil des ministres dans la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée.
La CBC a alors fait appel auprès du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, qui a ordonné au gouvernement de remettre copie des lettres de mandat au diffuseur public.
Une cour divisionnaire a ensuite rejeté la demande d’examen judiciaire présentée par le Procureur général de l’Ontario, et la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé cette décision. Le gouvernement a donc porté sa cause devant la Cour suprême.
Secret du cabinet ?
Le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée n’avait trouvé aucune preuve qui démontrerait que les lettres de mandat avaient été déposées lors d’une réunion du cabinet, qu’elles auraient dévoilé les raisons d’une ligne de conduite particulière du gouvernement ou énoncé les opinions ou les idées de ministres.
En conséquence, le commissaire avait conclu que le bureau du Conseil des ministres n’avait pas fait la preuve que les lettres de mandat révéleraient la substance des délibérations du cabinet.
Dans un mémoire écrit déposé auprès du tribunal, le procureur général de l’Ontario affirme que la confidentialité, la franchise et la solidarité du Conseil des ministres sont fondamentales dans un système où les ministres responsables décident collectivement de la politique gouvernementale.
Le procureur général soutient que l’interprétation étroite et restrictive du commissaire quant à la «substance des délibérations» constitue une «incursion injustifiée» dans le fonctionnement du cabinet.
Même si le commissaire admet que les priorités politiques énoncées dans les lettres de mandat sont le fruit des délibérations du premier ministre, elles contenaient «plus que cela», a plaidé l’avocate du procureur général. Elles ont dans les faits donné le coup d’envoi à l’ensemble du processus d’élaboration des politiques du cabinet, soutient Me Judie Im.
La juge Sheilah Martin a suggéré à l’avocat de la CBC que les lettres de mandat pourraient être considérées comme le début d’une conversation sur ce que le premier ministre attend d’un ministre, et non comme la fin des délibérations.
Me Safayeni a déclaré que les lettres de mandat se situent au milieu – entre le processus de délibération du premier ministre concernant les ordres de marche pour ses ministres, et les plans ou les politiques proposés qu’un ministre pourrait éventuellement présenter à ses collègues du cabinet.
Dans son propre mémoire, le commissaire demande à la Cour suprême d’examiner si la décision d’ordonner la divulgation est raisonnable «en termes de justification, de transparence et d’intelligibilité, notamment à la lumière de l’historique de la procédure, des preuves et des observations présentées, et de la jurisprudence établie, qui n’a pas été contestée».