Libre-échange entre le Canada et l’Union européenne: entente de principe conclue

BRUXELLES – Après quatre années de négociations opaques, le Canada et l’Union européenne (UE) ont conclu une entente de principe sur un éventuel accord de libre-échange.

C’est ce qu’a confirmé le premier ministre du Canada Stephen Harper vendredi à Bruxelles, en Belgique, en compagnie du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso.

«Il s’agit d’une entente importante, la plus importante que le Canada ait jamais conclue. C’est un moment historique», a déclaré M. Harper.

Le texte de cette entente demeure toutefois secret et nécessitera «des révisions et des ajustements», en plus d’un passage sous l’oeil des avocats pour s’assurer que le tout «se tient» sur un plan juridique, a fait savoir un responsable canadien se trouvant à Bruxelles.

Il pourrait encore s’écouler de 18 à 24 mois avant que l’Europe ne donne son approbation finale, et le Canada agira selon un échéancier similaire, a précisé le responsable.

Ottawa a en fait publié un sommaire de 44 pages et d’autres documents explicatifs.

Le document ne précise pas ce que le Canada a dû céder à l’Europe, particulièrement dans des secteurs tels que les produits laitiers et la protection de la propriété intellectuelle dans le domaine pharmaceutique.

Toujours selon le responsable, les concessions comprennent des gains pour les entreprises européennes pour participer aux appels d’offres touchant les contrats provinciaux et municipaux, une meilleure protection des brevets pharmaceutiques, et une augmentation des quotas de fromages européens.

Le sommaire met également en valeur la hausse des quotas d’exportation de boeuf canadien.

Les producteurs laitiers ont immédiatement accusé Ottawa d’avoir «cédé», tandis que l’industrie des médicaments génériques a servi une mise en garde contre une hausse des coûts des soins de santé.

Stephen Harper a reconnu qu’il pourrait y avoir quelques frictions, mais il a malgré tout fait valoir qu’il s’agissait d’une «excellente» entente à long terme pour le Canada.

Selon le premier ministre, elle sera à l’avantage des familles qui recherchent des produits plus abordables et des entreprises désireuses de saisir de nouvelles opportunités au sein d’un énorme marché.

M. Harper a ajouté que l’industrie des produits laitiers obtenait «un accès virtuellement illimité au marché européen», mais que pour les producteurs de fromages, «il pourrait y avoir de faibles effets transitoires négatifs dans les années à venir».

Le premier ministre a assuré qu’Ottawa offrirait une compensation pour «contrer complètement d’éventuels effets négatifs sur l’industrie des produits laitiers, et a dit avoir l’appui de l’Ontario et du Québec.

De la même manière, en ce qui concerne le domaine pharmaceutique, M. Harper a reconnu qu’«il risque également, à l’avenir, d’y avoir des pressions à la hausse des prix pharmaceutiques dans la foulée de la conclusion de l’entente».

«Cependant, il est important de noter que nous ne nous attendons pas à ce que cette hausse soit importante, et nous ne nous attendons pas à ce qu’elle se fasse sentir d’ici une décennie.»

M. Harper a également mentionné que les provinces avaient obtenu l’assurance qu’Ottawa offrirait une compensation pour toute hausse des coûts du système de santé.

L’entente, la première de l’UE avec un pays du G-, devra être approuvée par le Parlement européen, les 28 pays membres de l’UE, et au Canada, par les gouvernements fédéral et provinciaux. Stephen Harper a dit s’attendre à ce que le tout soit ratifié au Canada d’ici les prochaines élections fédérales de 2015.

Ce processus de ratification pourrait cependant être complexe, et des responsables fédéraux canadiens ont laissé entendre qu’ils pourraient devoir compenser les provinces pour la hausse des coûts des médicaments et les impacts financiers négatifs envers les producteurs laitiers, principalement en Ontario et au Québec, entre autres en raison de la hausse des quotas d’importation de fromages européens.

L’entente de principe a été vertement dénoncée par Paul Murphy, député irlandais du Parlement européen, qui a critiqué le fait que les négociations ont été tenues dans le secret.

Selon lui, cette culture du secret a été entretenue «par les multinationales canadiennes et européennes, ainsi que par le secteur agricole, qui désirent l’accès aux marchés et aux services publics essentiels pour dégager des profits aux dépens des gens de la classe moyenne».

Le Conseil des Canadiens et certains de ses alliés européens ont eux aussi dénoncé le caractère secret des discussions et exigé la publication immédiate du texte.

«Si cette entente est si importante, est-ce que les Canadiens ne devraient pas avoir la chance de l’accepter ou de la rejeter?», s’est interrogée la présidente de l’organisation, Maude Barlow.

Selon des études indépendantes, le commerce bilatéral entre le Canada et l’UE pourrait augmenter de 22 pour cent.

Le gouvernement Harper estime qu’un tel accord pourrait faire croître de 12 milliards $ le produit intérieur brut canadien (PIB), et créer entre 80 000 et 100 000 emplois.

En vertu de l’entente, il sera plus facile pour les entreprises canadiennes d’investir et de vendre dans les pays de l’Union européenne, qui compte plus de 500 millions de consommateurs, et vice versa.

L’accord permettra de réduire les droits de douane dans tous les domaines, de rationaliser la réglementation et de réduire les lourdeurs administratives qui freinent les échanges.

Selon les parties, un «équilibre satisfaisant» dans le domaine litigieux de l’agriculture a été atteint.

Parmi les gains canadiens, on souligne que les fabricants automobiles pourront porter leurs exportations européennes de 10 000 à 100 000 unités, en plus d’obtenir l’élimination des taxes à l’importation de 10 pour cent sur le territoire de l’UE.

Les producteurs de boeuf voient quant à eux leurs quotas passer de 15 000 à 65 000 tonnes. Ils devront cependant se convertir à l’élevage sans hormones pour se conformer aux normes européennes, ce qui ajoute 15 pour cent aux coûts.

Le grand prix remporté par le Canada, plaide Ottawa, est l’accès au marché commun européen: 500 millions de clients potentiels au sein d’une économie de 17 000 milliards $, auquel pourront désormais accéder les manufacturiers, entrepreneurs, investisseurs, fournisseurs de services et ingénieurs canadiens.

Cette entente pourrait par ailleurs représenter une victoire politique importante pour les conservateurs de Stephen Harper, qui font du développement économique un des piliers de leur programme.

Au dire d’analystes, le fait d’avoir réussi à conclure une entente avec une entité d’une telle ampleur démontre la crédibilité du Canada pour d’autres négociations de libre-échange, particulièrement au sein du Partenariat transpacifique, avec l’Inde, ou encore avec le Japon.