L’immunothérapie orale offre l’espoir d’une vie normale aux jeunes allergiques

MONTRÉAL — Quand il avait sept ans, Lucas a assisté à une fête d’anniversaire qui a bien failli lui coûter la vie.

C’est après avoir mangé un simple pilon de poulet qu’il commence à ressentir des symptômes ressemblant à une indigestion. Pendant qu’il rentre à la maison avec sa maman, son état de santé pique soudainement du nez.

Heureusement, ou malheureusement, Elisabeth Pasceri reconnaît immédiatement ce qui se passe: l’allergie aux arachides dont souffrait déjà sa fille vient de se manifester chez Lucas, et son petit garçon est en proie à un choc anaphylactique qui menace de l’empêcher de respirer.

«J’ai tout de suite appelé 9-1-1 et je leur ai demandé si je devais lui donner l’Épipen de sa soeur, a dit Mme Pasceri. Je lui avais aussi donné du Benadryl. Ils m’ont dit d’attendre, que l’ambulance arrivait.»

Tout s’est bien terminé, mais une fois la poussière retombée, Mme Pasceri admet avoir vécu un moment de «découragement (…). Je savais le calvaire que sa pauvre sœur vivait avec ça.»

Lucas, lui, ne garde qu’un vague souvenir de cet incident. En raison de l’allergie de sa soeur, dit-il, il était déjà habitué de faire attention et d’éviter de manger des arachides.

Mais plus il vieillit, plus la situation se complique et plus la peur s’installe. En 6e année, alors qu’il pense avoir été accidentellement en contact avec des arachides et que dans sa tête il est «déjà en train de mourir», il court jusqu’à la salle de bain se laver la bouche au savon.

Sa maman se souvient aussi d’un séjour à New York avec l’école et dont Lucas était rentré en ayant dépensé un grand total de 24 $ US en nourriture: il déjeunait à l’hôtel, ne dînait pas et le soir mangeait des collations amenées de la maison.

«Ma mère était super loin en cas de danger, donc je ne voulais pas prendre de chance», a-t-il expliqué.

Le moment était venu de trouver une solution.

Clinique d’allergies

C’est à l’âge de 15 ans que le jeune homme est pris en charge par la clinique des allergies alimentaires de l’Hôpital de Montréal pour enfants, qui a été la première au Canada à proposer l’immunothérapie orale.

On offre à Lucas et à ses parents de l’exposer graduellement à des quantités de plus en plus élevées d’arachides, sous stricte supervision médicale, non pas dans le but de faire disparaître son allergie, mais d’en réduire l’intensité et donc d’améliorer sa qualité de vie.

«Des études nous disent que si on commence à introduire des substances qui étaient suffisamment allergènes pour que ça cause une réaction assez sévère, si on commence avec de très petites quantités, et lentement, doucement, on augmente la quantité, avec quelques allergènes comme le lait, les œufs et les arachides ou les noix, on peut vraiment diminuer le pouvoir de l’allergie», a résumé le docteur Bruce Mazer.

L’objectif de l’immunothérapie orale est d’entraîner l’organisme à tolérer l’allergène alimentaire au lieu d’y réagir. Mais le processus est long: de six à douze mois, et possiblement plus pour les noix.

Le taux de réussite du docteur Mazer et de son équipe est actuellement d’environ 75 %.

«On ne recommande pas de manger des sandwichs de beurre d’arachides, ce serait génial si on pouvait, mais si quelqu’un va dans un restaurant, s’il y a de la contamination ou quelque chose qui cuit avec des noix ou des arachides, les chances d’une réaction sont vraiment diminuées, alors on change un problème mortel en petit problème», a dit le docteur Mazer.

Une question de motivation

Mais même les meilleurs soins seront inutiles si l’enfant n’est pas extrêmement motivé, prévient Mme Pasceri, qui confirme que le processus n’est pas facile: elle se souvient que Lucas soit tombé inconscient tellement l’idée d’être exposé à des arachides le stressait.

Heureusement, Lucas était aussi, et surtout, très motivé.

En vieillissant, comme tous les adolescents, le jeune homme voulait sortir avec des amis, et c’était un casse-tête constant de devoir traîner son Épipen avec lui. S’il couchait ailleurs, il ne pouvait pas manger n’importe quoi et devait être systématiquement sur ses gardes.

«J’étais tanné, après toutes ces années pendant lesquelles je ne pouvais pas prendre de chances, a-t-il lancé. Tous les desserts que je manquais, tous les gâteaux de fête quand j’allais chez mes amis… Je me suis dit que si au moins je pouvais manger les choses qui pouvaient juste contenir des traces!»

L’objectif que poursuivent le docteur Mazer et ses collègues est donc de permettre à leurs petits patients de mener une vie la plus normale possible.

«Plusieurs de nos enfants qui sont allergiques au lait, qui sont allergiques aux noix, aux arachides, aux fruits de mer, nous disent, ‘la seule chose qui va vraiment changer ma vie pour que je puisse aller avec mes amis pour la pizza ou la crème glacée, c’est le lait’, alors on va se concentrer sur le lait, et ça, c’est notre philosophie, a dit le docteur Mazer. Vraiment, c’est un allergène à la fois pour le traitement, et vraiment celui qui va influencer la qualité de vie.»

Avant 2015, il était fortement déconseillé de donner des arachides à un enfant avant l’âge de quatre ou cinq ans. Les consignes ont depuis changé: si le bébé est capable d’avaler correctement, on peut commencer à introduire des aliments comme les arachides et les œufs.

«Honnêtement, depuis ce temps-là, nous avons perçu une grosse diminution des petits bébés avec des allergies alimentaires aux arachides, a dit le docteur Mazer. Alors, l’introduction des choses (ça aide) beaucoup.»

La dose d’arachides de Lucas a été augmentée toutes les deux semaines. Au début, l’équivalent d’un dixième d’une arachide suffisait à déclencher un choc anaphylactique; aujourd’hui, il peut manger sans problème des aliments qui contiennent des traces de noix.

Même avec ces progrès, son allergie ne disparaîtra jamais et il doit continuer à prendre des doses d’arachides chaque jour. Sa mère se réjouit néanmoins du chemin parcouru.

«Le répit psychologique qui vient avec ça!, a dit Mme Pasceri. On sait que même s’il mange des arachides accidentellement, le danger de mort est réduit de façon significative. Il est encore allergique, mais il a une plus grande tolérance et on enlève le danger.

«Ce traitement-là devrait être donné à tous les jeunes qui sont allergiques. Ce n’est pas facile. Le corps réagit chaque fois qu’on augmente la dose. Mais ça en vaut tellement la peine pour la réduction de l’anxiété que je vois en Lucas et en nous!»