SEATTLE — Le plan ambitieux annoncé la semaine dernière pour ramener Lolita, une orque captive depuis plus d’un demi-siècle, dans ses eaux natales du Puget Sound, dans l’État de Washington, a enthousiasmé ceux qui militent depuis longtemps pour qu’elle soit libérée de son bassin du Seaquarium de Miami.
Mais cela a également rappelé la libération de Keiko ― la star du film «Sauvez Willy» ― il y a plus de vingt ans. Le retour de Keiko dans son Islande natale avait grandement amélioré sa vie par rapport à son aquarium de Mexico, mais il n’avait pas réussi à s’adapter à la vie sauvage et était mort cinq ans plus tard.
Il est la seule orque libérée après une longue période de captivité. Certains des anciens soigneurs de Lolita craignent qu’elle ne subisse le même sort ou qu’elle ne survive pas à un déménagement à l’autre bout du pays.
Mais les défenseurs de l’orque affirment qu’il existe de multiples différences entre les deux cas et que leur expérience avec Keiko les aidera à planifier le retour de Lolita.
S’ils espèrent ramener Lolita ― également connue sous le nom de Tokitae, ou Toki ― dans un sanctuaire pour baleines situé dans les nombreuses îles du nord-ouest du Pacifique, ils savent qu’elle ne pourra peut-être plus jamais nager librement avec sa famille menacée, notamment avec la baleine presque centenaire qu’on pense être sa mère.
Voici un aperçu de l’histoire de Tokitae.
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COMMENT TOKI S’EST-ELLE RETROUVÉE EN CAPTIVITÉ?
Les tribus amérindiennes du nord-ouest du Pacifique vénèrent les orques, qu’elles considèrent comme des membres de leur famille.
Les colons blancs avaient un point de vue différent. Les pêcheurs méprisaient les «poissons noirs», qu’ils considéraient comme des concurrents dans la pêche au saumon, et les abattaient parfois.
Les choses ont commencé à changer en 1965, lorsqu’un homme nommé Ted Griffin a acheté une orque qui avait été prise dans le filet d’un pêcheur en Colombie-Britannique et l’a remorquée jusqu’en bordure de mer à Seattle. La baleine ― Namu ― fit sensation.
Namu mourut bientôt d’une infection, mais Griffin avait créé un engouement pour la capture des orques du nord-ouest du Pacifique et leur entraînement pour des spectacles. Griffin a capturé des dizaines d’orques au large de l’île de Whidbey, dans l’État de Washington, en 1970. Plusieurs d’entre elles se sont noyées lorsque des opposants qui voulaient les libérer ont découpé les filets.
De nombreuses orques sont restées à proximité, refusant de quitter les membres de leur clan qui étaient sortis de l’eau. Parmi celles qui ont été gardées, Tokitae, âgée de 4 ans, a été vendue plus tard au Seaquarium de Miami.
Au début des années 1970, au moins 13 orques du nord-ouest avaient été tuées et 45 livrées à des parcs d’attractions dans le monde entier; Toki est la seule à être encore en vie. Les rafles ont réduit la population résidente du Puget Sound d’environ 40 % et ont contribué aux problèmes de consanguinité qui les menacent aujourd’hui.
L’indignation suscitée par ces captures a contribué à l’adoption de la loi américaine de 1972 sur la protection des mammifères marins.
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POURQUOI RAMENER TOKI À LA MAISON ?
Lolita, aujourd’hui âgée de 57 ans, a passé des décennies à se produire en spectacle. L’année dernière, le Seaquarium de Miami a annoncé qu’il ne la présenterait plus, conformément à un accord conclu avec les autorités. L’animal, qui pèse 2267 kilogrammes, vit dans un bassin de 24 mètres sur 11 mètres et de 6 mètres de profondeur.
Les baleines sont des créatures intelligentes et sociales, et les activistes rêvent depuis longtemps de rendre Tokitae à sa famille.
La baleine qui serait la mère de Toki est la matriarche du «L-pod», l’un des trois clans qui constituent ce que l’on appelle les orques résidentes du sud, une population génétiquement et socialement distincte qui fréquente la mer des Salish entre l’État de Washington et la Colombie-Britannique. Il reste 73 orques résidentes du sud.
Les plans prévoient d’amener Lolita dans un sanctuaire de baleines en filet d’environ 15 acres. Elle serait relâchée dans un enclos de la taille de deux terrains de football à l’intérieur de ce sanctuaire, où elle serait soignée en permanence.
«Le premier objectif est de lui offrir la meilleure qualité de vie possible, a expliqué Charles Vinick, l’un des fondateurs de l’organisation à but non lucratif Friends of Toki et le directeur exécutif du Whale Sanctuary Project. Nous devrons nous fier à Lolita pour nous montrer si le rêve de la réunir avec L-pod se réalisera ou non.»
Les baleines résidentes du sud étant menacées d’extinction, les défenseurs de l’espèce devront obtenir des autorisations supplémentaires s’ils souhaitent un jour renvoyer Toki dans la nature. Ils devront probablement démontrer que l’introduction d’une autre baleine vieillissante à nourrir n’alourdira pas le fardeau de la population.
Avec le soutien financier du propriétaire des Colts d’Indianapolis, Jim Irsay, ils ont accepté de soutenir Lolita à long terme, qu’elle soit réintroduite ou non.
Un groupe d’anciens soigneurs de Lolita, appelé Truth 4 Toki, a lancé mardi une pétition en ligne pour qu’elle reste en Floride, peut-être dans un bassin du SeaWorld d’Orlando, où elle pourrait vivre aux côtés des deux dauphins à flancs blancs du Pacifique avec lesquels elle a vécu ces 30 dernières années.
«Je suis certaine que ce n’est PAS dans son intérêt, a déclaré Alli Hagan, l’une de ses anciennes dresseuses, dans un communiqué de presse annonçant la pétition. La déplacer à l’autre bout du pays dans un parc marin est dangereux et inutile.»
Mais pour Raynell Morris, un ancien de la tribu indienne Lummi à Washington et membre du conseil d’administration de Friends of Toki, le retour de la baleine est fondamental.
«Tant qu’elle n’est pas rendue à sa famille, notre famille est brisée, a déclaré M. Morris. Lorsqu’elle rentrera chez elle, le réseau de la vie sera réparé et restauré, et notre peuple sera réparé et restauré.»
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COMMENT DÉPLACER UNE BALEINE DE 2,5 TONNES?
Lorsque tous les éléments seront en place ― ce qui pourrait prendre deux ans ― et que Lolita sera jugée suffisamment robuste pour être déplacée, elle sera placée dans un harnais. Elle sera soulevée par une grue dans un réservoir placé sur un camion, et le camion sera conduit jusqu’à un avion-cargo.
Elle sera transportée par avion jusqu’à Washington, chargée sur une barge, transportée par bateau jusqu’au sanctuaire et descendue par une grue dans sa nouvelle maison.
Le réservoir de transport de Toki sera rempli d’eau douce ― l’eau salée pourrait endommager l’avion en cas de fuite. Les soigneurs protégeront sa peau avec une pommade.
Les défenseurs de Toki travailleront avec le ministère des Ressources naturelles de l’État de Washington pour choisir le site du sanctuaire.
Là, Toki pourra commencer à récupérer les forces dont elle pourrait avoir besoin pour rejoindre les orques sauvages, réapprendre à chasser et à parcourir environ 160 kilomètres par jour.
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QU’AVONS-NOUS APPRIS DE KEIKO?
Keiko avait environ deux ans lorsqu’il a été capturé en 1979. Il a passé du temps en Islande et au Canada avant d’être vendu en 1985 à un parc d’attractions de Mexico, où il vivait dans un réservoir rempli d’eau du robinet mélangée à du sel.
En 1993, il est apparu dans le film «Sauvez Willy», ce qui a donné lieu à une campagne menée par des écoliers pour obtenir sa libération. Une installation a été construite à un aquarium de l’Oregon où Keiko, émacié, a pu se rétablir avant son retour en Islande.
Keiko a pris environ 453 kg au cours de sa première année dans l’Oregon.
M. Vinick, qui a participé à la gestion du retour de Keiko, a fait remarquer que cela avait toujours été conçu comme un effort de réintroduction. Keiko était âgé d’une vingtaine d’années ― encore jeune pour une orque ― lorsqu’il a été amené en Islande en 1998. Pour lui apprendre à chasser, les dresseurs lançaient des poissons autour de son enclos à l’aide d’une fronde. Par la suite, ils ont commencé à l’escorter lors de longues baignades en pleine mer.
Si Keiko s’approchait parfois des orques sauvages, il retournait au bateau de ses dresseurs et recherchait généralement les humains. Il a nagé seul jusqu’en Norvège, un voyage de près de 1600 kilomètres. Mais là encore, il était attiré par les bateaux et les humains, et il est mort, apparemment d’une pneumonie, vers l’âge de 27 ans.
«Nous savions déjà à quel point il est facile de capturer des baleines, a dit M. Vinick. Ce que nous avons appris avec Keiko, c’est à quel point il est difficile d’en remettre une à sa place.»
Malene Simon, de l’Institut des ressources naturelles du Groenland, qui a procédé à un examen scientifique de la libération de Keiko, s’est dite pessimiste quant aux chances de Lolita d’apprendre à chasser après avoir été nourrie par l’homme pendant 52 ans.
Tokitae a tout de même quelques avantages. Elle était un peu plus âgée lorsqu’elle a été capturée, elle devait donc déjà apprendre à chasser, et elle se souvient peut-être davantage des chansons de sa famille. De plus, les chercheurs savent qui est sa famille, contrairement à Keiko.
«Ce sera thérapeutique pour elle et elle sera en meilleure santé, a assuré Howard Garrett, le président du conseil d’administration du groupe de défense Orca Network. C’est un pas vers la réparation d’un grand tort que les humains ont commis.»