L’organisme CSI revalorise 200 tonnes de matériel médical par année

MONTRÉAL — Un organisme sans but lucratif québécois, Collaboration Santé Internationale, revalorise chaque année quelque 200 tonnes de matériel médical québécois devenu désuet, afin d’en faire profiter des pays moins bien nantis.

Des conteneurs remplis de matériel qui ne correspond plus aux normes du Québec prendront par exemple prochainement le chemin de la Tunisie et du Congo. Ce matériel est encore tout à fait utilisable et serait autrement envoyé au dépotoir.

En 2021 seulement, CSI a été en mesure de redistribuer et de réutiliser pour 2,8 millions $ de matériel.

La Presse Canadienne a discuté avec le président de CSI, Jacques Paradis, quelques jours avant la Semaine du développement international, qui aura lieu du 6 au 12 février.

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Quelle est la mission de votre organisme?

Collaboration Santé Internationale a comme mission de répondre aux demandes de centres de santé dans les pays en développement en leur offrant des médicaments, des équipements médicaux et des fournitures médicales. Et tout cela en respectant les normes de l’Organisation mondiale de la santé. Le matériel qui est offert est récupéré et recyclé à partir du réseau de la santé du gouvernement du Québec. Nous faisons plus de 600 cueillettes par année pour récupérer les équipements déclassés, les fournitures médicales qui sont en surplus et des médicaments, par exemple, qui vont avoir des dates de péremption. On n’envoie que du matériel qui peut être utile, mais qui ne répond plus aux normes du réseau de la santé du Québec. Et tout ce travail-là est fait par neuf salariés et 60 bénévoles. On peut aussi compter sur des professionnels (comme des infirmières ou un dentiste) qui partagent leur expertise et leurs connaissances avec nous.

Combien de pays avez-vous aidés au fil des ans?

On a aidé plus de 90 centres de santé dans plus de 100 pays. On intervient à peu près partout dans le monde, en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud également, et plus récemment, de plus en plus l’Afrique du Nord apparaît sur les radars. CSI a été créé en 1968 par un père capucin, Célestin Marcotte, puis en 1976 l’organisation est devenue un peu plus structurée avec un modèle d’affaires plus précis. Et depuis l’accréditation par le ministère de la Santé et Services sociaux (en 1996), on a véritablement recentré les activités sur la santé principalement.

Donc, votre partenaire principal est le ministère de la Santé?

Tout à fait. À tous les jours, je reçois des appels ou des courriels pour faire de la cueillette, ramasser du matériel et des surplus dans des hôpitaux. On travaille avec les CIUSSS, on travaille avec le ministère directement également pour structurer et planifier cette démarche-là, s’assurer que le matériel est récupéré. Par exemple, si un hôpital remplace 40 lits, on doit les récupérer immédiatement parce que l’hôpital n’a pas d’espace pour les entreposer, donc c’est amené ici, à nos entrepôts à Québec.

Et qu’en est-il des médicaments?

On complète ce que j’appellerais l’inventaire des médicaments par l’achat de médicaments à travers un organisme aux Pays-Bas qui ne vend qu’aux OBNL. Alors on a l’autorisation d’acheter des médicaments à prix très, très faibles, c’est 90 % moins cher que la valeur payée normalement en pharmacie. On a la chance d’acheter ces médicaments-là à travers une autorisation de Santé Canada. Alors on importe ces médicaments-là pour un usage humanitaire. Autrement dit, on les importe pour les exporter par la suite.

Comment choisissez-vous les pays que vous aidez?

Il y a tout un processus de qualification. On intervient à peu près partout dans le monde, la Côte d’Ivoire, Haïti, l’Équateur, le Bénin, le Honduras, le Paraguay, le Liban, la Tunisie, le Sénégal… On a des partenaires bénéficiaires locaux. À travers les années, on a bâti une relation avec des centres de santé qu’on connaît et avec lesquels on a déjà collaboré, d’une façon ou d’une autre. Pour la plupart des centres de santé auxquels on vient en aide, le cycle est à peu près de deux à trois ans, on les voit revenir. Il y a peut-être une centaine de centres qui reviennent régulièrement aux deux ans, et on réalise entre 20 et 30 projets par année.

Pour les nouveaux requérants, on a une série de formulaires. On veut savoir par exemple, dans le centre de santé, est-ce qu’il y a des médecins et est-ce qu’il y a des infirmières ou des dentistes? On veut parler à un professionnel de la santé localement, alors on est toujours en contact avec le partenaire bénéficiaire qui va recevoir les équipements et le matériel. On veut connaître le profil des professionnels de la santé sur place pour être certains que le matériel qu’on va leur fournir va être utilisé à de bonnes fins.

Pouvez-vous nous donner un exemple?

On a déjà vu passer une demande pour une pièce d’équipement dans une salle d’opération, mais ça s’accroche au plafond et ça pèse 400 livres. Puis sur les photos du centre qui nous la demande, on voit que c’est un toit de tôle ondulée. Alors, on leur a envoyé une lampe sur pied à la place. Mais les gens voient les listes d’inventaire, ce dont on dispose, et c’est certain qu’il y a des demandes parfois qui dépassent un peu la capacité d’utilisation.

La demande est assurément plus forte que l’offre?

On répond à peu près à une demande sur huit, donc la demande est beaucoup plus grande que notre capacité de répondre. Mais ce n’est pas tellement la quantité (de matériel) qui nous manque pour répondre à ces projets-là; ce qui nous manque, c’est beaucoup plus la capacité en termes d’opération. J’ai un seul camion sur la route, je n’en ai pas deux ou quatre. Tout est envoyé par conteneur et par bateau, et j’ai deux employés pour la manutention. La capacité de faire plus n’est pas strictement limitée par le matériel que je reçois, mais également par ma capacité financière ou ma capacité opérationnelle.

Oui, justement, comment sont financées vos activités?

Environ 45 % de notre financement provient de dons; l’autre 55 %, on demande à nos partenaires de défrayer une partie des coûts (comme les frais de transport et de douane). Le coût d’un projet varie entre 15 000 $ et 25 000 $, mais le coût des équipements et du matériel qui se retrouvent à l’intérieur d’un projet varie entre 150 000 $ et 300 000 $. Alors pour une valeur d’entre 10 % et 20 %, un partenaire bénéficie d’équipements quand même de pointe. Et deux fois par année, je fais une reddition au ministère pour leur expliquer un peu comment le matériel a été utilisé, où il a été envoyé.

Est-ce que le matériel provient entièrement du ministère de la Santé?

Entre 80 % et 90 % provient du ministère. Mais de 10 % à 20% provient également du réseau privé, des cliniques de dentistes, des cliniques privées, etc. Le défi pour nous, c’est d’être capables de gérer la fluidité du matériel; on ne récupère pas le matériel pour se faire un inventaire, on récupère le matériel parce qu’il faut qu’il sorte, c’est ça notre mission.

Plusieurs des pays que vous avez mentionnés ont des infrastructures fragiles ou des problèmes de corruption. Est-ce que c’est un obstacle pour vous?

À l’occasion, on a des défis. Effectivement, je ne vous cacherai pas que dans le cas présent, les projets qu’on réalise en Haïti présentent des défis. Mais encore là, on travaille avec des partenaires de longue date, ce n’est pas la première fois qu’on fait des projets sur Haïti. Toutes ces organisations-là avec lesquelles on travaille depuis de nombreuses années doivent nous fournir un rapport sur l’utilisation et l’intégration du matériel. Il ne faut jamais oublier qu’on parle de centres de santé et de dispensaires et d’hôpitaux dans des endroits parfois très, très reculés. Donc c’est certain que le défi pour nous, c’est d’acheminer les équipements jusque là. Quand on parle de corruption, oui on a des défis, mais en 50 ans on a perdu seulement un conteneur, et c’est parce qu’il est tombé en bas du bateau.

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Les propos de M. Paradis ont été abrégés et condensés à des fins de clarté et de concision.