MONTRÉAL — Martin Prud’homme recommande que le prochain directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) soit l’un de ses deux adjoints issus de l’extérieur.
«C’est pas une question de favoritisme. C’est une question que c’étaient les deux personnes que je voyais être en mesure de reprendre ça, en gardant la stabilité et en suivant le processus qu’on avait en place depuis un an», a expliqué M. Prud’homme en entrevue téléphonique.
Martin Prud’homme, le directeur de la Sûreté du Québec (SQ) qui a été placé à la tête du SPVM par intérim à la suite de la suspension du chef Philippe Pichet, a remis mardi son rapport final.
Bien qu’il estime qu’il ne soit pas nécessaire de maintenir l’administration provisoire qu’il dirige, il précise tout de même «qu’il doit y avoir un délai suffisant pour bien marquer la transition avec l’ancienne administration».
Il suggère donc d’écarter le processus habituel d’appel de candidatures ouvert tant à l’interne qu’à l’externe, car il croit que cela ouvrirait la porte à une «nouvelle course à la chefferie, au possible retour des clans et à la détérioration du climat».
Or, précise-t-il, «l’équilibre interne est toujours fragile» au sein du corps policier.
«Lorsque je parle qu’il y a un équilibre fragile, c’est que les gens ont peur. Les gens ont peur de retourner à des anciennes habitudes», a-t-il précisé.
M. Prud’homme dit que lui et son équipe ont corrigé «beaucoup de choses» au SPVM, mais prévient qu’il reste encore beaucoup de travail à faire.
«Oui, il y a une culture, ça prend un certain temps. Mais là, je suis rassuré parce que les problématiques majeures, on les a corrigées. Maintenant c’est la stabilité et la continuité», a-t-il indiqué.
Succession de l’extérieur
L’un des deux adjoints auxquels il fait référence est Line Carbonneau, ancienne sous-commissaire à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui avait la responsabilité de remettre sur pied la division des enquêtes internes, sévèrement malmenée par un autre rapport indépendant, celui remis par le commissaire Michel Bouchard au ministre de Sécurité publique de l’époque, Martin Coiteux, en novembre 2017.
L’autre est Sylvain Caron, ex-directeur adjoint de la Sûreté du Québec (SQ), qui a aussi dirigé le corps de police de Sorel-Tracy et qui était responsable des enquêtes criminelles sous Martin Prud’homme.
Martin Prud’homme, quant à lui, verra son mandat prendre fin le 31 décembre et devrait alors reprendre les rênes de la SQ, mais la nouvelle ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, se dit prête à le maintenir en poste au SPVM le temps qu’il faudra pour désigner son successeur.
La suggestion entourant sa succession est cependant déjà fort bien accueillie.
«M. Prud’homme a abondamment noté le besoin de continuité et de stabilité au sein du Service de police de la Ville de Montréal et je pense que c’est une bonne idée, oui, que le successeur de M. Prud’homme provienne de l’actuel comité de direction, donc un des deux directeurs adjoints», a déclaré, à Québec, la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault.
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, abondait dans le même sens: «Pour s’assurer qu’on ne retourne pas dans les vieux ‘patterns’ — excusez-moi l’anglicisme — il est fortement suggéré d’aller dans la continuité donc, effectivement, il y deux personnes qui, parmi les critères mis de l’avant par M. Prud’homme, se qualifient», a-t-elle dit.
Les candidatures — et d’autres si tel devait s’avérer le cas, bien que cela ne semble guère plausible à ce moment-ci — doivent maintenant être soumises au processus d’évaluation de la Ville qui a mis sur pied un comité de sélection qui devra mener des entrevues «avec les candidats qui répondent aux critères du rapport Prud’homme», a pris soin de préciser la mairesse.
Sortie de crise
«Martin Prud’homme a fait honneur à l’uniforme bleu; je le remercie sincèrement», a déclaré Mme Plante, visiblement satisfaite du travail accompli par celui-ci.
«Je suis très heureuse de ce qui a été fait dans la dernière année. On a vraiment senti le climat s’apaiser au sein du SPVM», a déclaré Mme Plante.
À Québec, la ministre Guilbault tenait sensiblement le même discours, tout en rappelant les réserves émises dans le rapport.
«C’est assez rassurant de voir qu’il y a plusieurs actions qui ont été mises en place par M. Prud’homme et par son équipe d’administration provisoire depuis un an. Les constats sont assez prometteurs bien que, comme il le note aussi, l’équilibre demeure fragile au sein du service de police.»
Le rapport d’une quarantaine de pages du directeur par intérim comprend près d’une quinzaine de recommandations.
Enquêteurs non diplômés
Outre celles touchant sa succession, il demande à la Ville et au SPVM de faciliter la formation des enquêteurs, notant que 261 des 753 policiers dédiés à des fonctions d’enquête, soit plus du tiers (34,6 pour cent), n’ont pas leur diplôme de formation qualifiante en enquête.
Le SPVM a cependant élaboré un plan d’action qui, selon Martin Prud’homme, «permettra à l’organisation de rattraper ce retard dans un horizon d’environ 24 mois».
Malgré le redressement réalisé dans le secteur des enquêtes internes, Martin Prud’homme estime que le SPVM «n’est pas en mesure de reprendre seul la responsabilité des enquêtes d’allégations criminelles» visant des policiers. Il propose donc la création d’une équipe mixte formée d’enquêteurs du SPVM et de la SQ et de mettre un terme au renvoi automatique de tous les dossiers à l’Équipe mixte d’enquête cogérée par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) et par la SQ.
«Ce que je dis c’est que minimalement, le SPVM ne peut pas reprendre (les enquêtes) seul. Maintenant, ce que je suggère, c’est qu’on les fasse en collaboration avec la Sûreté du Québec. Mais je n’exclus aucunement la participation du BEI», a expliqué M. Prud’homme en entrevue.
Il presse par ailleurs la Ville d’assurer un suivi de près des travaux amorcés pour améliorer le climat de travail, soulignant des problèmes importants liés «au climat de travail dans quelques secteurs et unités au sein de l’organisation, notamment à la Centrale 911». Il pointe du doigt, notamment, «la gouvernance, le manque de valorisation et de reconnaissance du personnel, le favoritisme, une surcharge de travail et la qualité de l’environnement de travail».
Vérificateur interne
Martin Prud’homme propose également la création d’un Bureau de vérification interne relevant directement du directeur qui aurait la responsabilité, entre autres, de la vérification interne et de l’inspection et de «réaliser des contrôles budgétaires, dont annuellement sur l’utilisation des dépenses secrètes», une recommandation particulièrement bien accueillie par la mairesse Plante.
Parmi les autres recommandations, le directeur par intérim demande à la Ville de redonner au corps policier la gestion de ses ressources humaines, notant d’importants problèmes de coordination à ce chapitre.
Il recommande aussi que le SPVM et la Ville se mettent en marche pour finaliser le plan d’organisation policière, qui n’a pas été revu depuis 2004 et qui n’est plus à jour, et de le remettre au ministère de la Sécurité publique pour approbation.
Dans la même veine, il réclame de la Ville qu’elle modernise les systèmes informatiques utilisés pour la gestion des ressources humaines, déplorant au passage la désuétude de plusieurs d’entre eux.
Valérie Plante n’a présenté aucune objection aux différentes recommandations, mais elle a clairement laissé entendre que la ville n’agirait pas dans la précipitation.
«Pour l’instant, les changements apportés restent fragiles et nous avons le devoir d’opérer avec la plus grande précaution la suite des choses», a-t-elle déclaré, ajoutant que certains travaux étaient déjà entrepris dans des domaines très précis: «Nous continuons notre travail sur deux chantiers importants et prioritaires. Le premier c’est celui de la transparence et de la confiance du public (…) Le deuxième chantier est celui de la représentativité et du profilage au sein du SPVM.»
À ce dernier chapitre, Mme Plante a révélé que le SPVM était sur le point de dévoiler son plan d’action et «est plus que jamais engagé envers l’atteinte des meilleures pratiques dans le domaine».