Mort de Thomas Audet: Géhane Kamel a peu de réponses, mais note une faille à la DPJ

MONTRÉAL — La coroner Géhane Kamel n’aura finalement pas pu fournir de réponse sur les circonstances ayant mené au décès du petit Thomas Audet, 20 mois, survenu il y a près de sept ans, en juin 2016 à Alma.

Me Kamel a remis lundi son rapport sur le troublant décès de l’enfant dans lequel elle explique que la cause de la mort est «un coup reçu directement dans la partie supérieure de l’abdomen», mais que «la preuve recueillie lors de l’enquête ne permet pas de déterminer la cause probable des traumatismes subis par l’enfant». En d’autres termes, il risque de ne jamais y avoir de réponse à la question: comment ou de qui a-t-il reçu ce coup?

Cependant, il apparaît clairement dans son rapport qu’il s’agit d’un autre cas ayant glissé entre les mailles de la surveillance de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

Signalement un mois plus tôt

Un mois presque jour pour jour avant son décès, le 17 mai 2016, la DPJ avait reçu un signalement à son sujet, signalement qu’elle avait retenu et codé «en priorité 3», ce qui aurait dû mener à une prise en charge au service d’évaluation dans les quatre jours suivants. Toutefois, selon le témoignage du spécialiste en activités cliniques, «les codes 3 étaient à cette époque plutôt traités dans un délai de plus ou moins 30 jours».

«Malheureusement, Thomas est décédé la veille de l’assignation à un intervenant», peut-on lire dans le rapport.

La coroner Géhane Kamel recommande donc en tout premier lieu que la DPJ mette en place une mesure d’exception pour que tous les enfants âgés de 5 ans et moins qui font l’objet d’un signalement soient évalués sans délai et suivis quotidiennement.

Elle recommande également au ministère de la Santé et des Services sociaux d’améliorer le recrutement et la rétention du personnel, et, dans la même logique, «de définir de façon précise le   »point de rupture » pour lequel le nombre de signalements reçus est considéré comme étant excessif et déterminant pour le début des mesures de contingence».

Géhane Kamel demande également au Collège des médecins de rappeler à ses membres que la Loi sur la protection de la jeunesse oblige tout professionnel de la santé «qui, dans l’exercice de sa profession, a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d’un enfant est ou peut être considéré comme compromis» à «signaler sans délai la situation» à la DPJ.

Une chute qui n’expliquait rien

La trame des événements mérite qu’on y revienne. Le 18 juin 2016, le poupon avait d’abord été trouvé dans son lit, couché sur le ventre. Son beau-père lui aurait administré ses pompes et de l’acétaminophène. Une trentaine de minutes plus tard l’enfant était inconscient et le beau-père aurait débuté les manœuvres de réanimation. Le décès du petit Thomas devait être constaté après son arrivée à l’Hôpital d’Alma. 

La veille, Thomas aurait fait une chute d’un petit vélo avec roues stationnaires et serait tombé sur le côté droit de sa tête. Il ne pouvait, toutefois, être décédé des suites de cette chute. «Thomas est décédé d’un traumatisme abdominal contondant, explique la coroner Kamel. Pour expliquer ces lésions abdominales particulières, l’enfant doit avoir reçu un coup directement à la région supérieure de l’abdomen.»

Un rapport d’autopsie troublant

Certains extraits du rapport d’autopsie confirment ceci. On y lit, entre autres, qu’à la tête, «quatre contusions sont retrouvées, l’une au front du côté droit, l’une au coin externe du sourcil droit, l’une à la joue gauche et la dernière au côté gauche du cuir chevelu. (…) Ces blessures sont insuffisantes pour expliquer le décès». Le pathologiste précise que certaines blessures peuvent s’expliquer par la chute à vélo, mais que cette chute ne peut expliquer des blessures des deux côtés de la tête.

Un peu plus loin, le rapport du pathologiste a de quoi laisser perplexe, lorsqu’il écrit qu’à l’abdomen, «différentes blessures sont retrouvées. Certaines sont récentes, contemporaines au décès. (…) Ce sont ces blessures qui expliquent le décès. (…) Cependant, sur ces blessures récentes se juxtaposent des lésions anciennes, non contemporaines au décès. (…) Ainsi, cet enfant a subi au moins deux impacts à l’abdomen: l’un récent, qui l’a tué, et l’autre ancien, qui a eu le temps de guérir.»

Or, le signalement fait à la DPJ un mois plus tôt disait en effet que «l’enfant aurait eu plusieurs blessures inquiétantes depuis sa naissance et on se questionne quant aux versions données par les parents ainsi que sur leur surveillance».

Accusations abandonnées

La Sûreté du Québec avait enquêté sur ce décès et des accusations d’homicide involontaire avaient été portées quatre ans plus tard, en juin 2020, contre le beau-père. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) avait toutefois dû demander un arrêt des procédures le 29 septembre 2021 puisque le seul témoin qui l’avait incriminé avait perdu toute crédibilité en livrant des témoignages contradictoires. Le beau-père n’avait pas témoigné à son procès, mais l’avait fait à l’enquête de Me Kamel et il avait alors été mis en preuve, lorsqu’on lui avait demandé de décrire un à un les événements qui avaient blessé l’enfant, que pour aucun d’entre eux, il n’était en contact direct avec l’enfant.

Cet extrait du rapport de Me Kamel trace bien les limites de son enquête: «En raison de la très grande charge émotive associée à des tragédies impliquant des enfants, il est primordial de mentionner que mon analyse n’a aucunement pour objectif de déterminer la responsabilité criminelle ou civile. L’ensemble de ce processus a pour objectif de faire la lumière et de rechercher la vérité sur les circonstances entourant le décès de Thomas et sur les facteurs qui y ont contribué.»

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