OTTAWA — Maxime Bernier était pleinement conscient de l’effet qu’aurait son tweet sur le «multiculturalisme à l’extrême» — et en rétrospective, il se targue d’avoir été le seul politicien à oser aborder la question en publiant ce micromessage que certains ont qualifié de xénophobe.
Le Beauceron était déjà à couteaux tirés avec son chef Andrew Scheer et ses collègues du caucus conservateur lorsqu’il a publié ce tweet qui aura essentiellement finalisé le divorce. Il l’a fait à quelques jours de l’ouverture du congrès de son parti, en août dernier.
Et il savait qu’il s’agissait d’un moment charnière.
«Absolument, absolument», s’exclame le chef autoproclamé du Parti populaire du Canada dans son nouveau bureau de député indépendant, au quatrième étage d’un édifice de la cité parlementaire d’Ottawa.
«Je savais que c’était une bombe qu’on lançait; il n’y a pas un politicien qui a osé parler du multiculturalisme à l’extrême. Et je savais que ça allait créer une bombe médiatique, effectivement, oui», ajoute-t-il.
Le politicien martèle qu’il refuse de participer «à des débats émotifs sur l’immigration». Lorsqu’on lui demande s’il craint les dérapages, ou s’il sent une certaine responsabilité de ne pas agiter les groupuscules d’extrême droite, il se braque et attaque son ancien leader.
«Je ne le fais pas, c’est M. Scheer qui le fait! Il a dit que si on signait (le Pacte mondial sur les migrations) on allait effacer les frontières! Il a dit que ça allait être des fonctionnaires de l’ONU qui allaient gérer l’immigration au Canada; c’est complètement faux!», s’énerve-t-il.
La rupture
Le gazouillis a mené à une conversation téléphonique avec Andrew Scheer. Le député de Beauce a alors réalisé qu’il était «dans un cul-de-sac», car celui qui l’a battu de justesse pour s’emparer des rênes du Parti conservateur, en mai 2017, ne voulait d’«aucune» de ses idées.
«À ce moment-là, j’avais un choix à faire: soit de retourner dans le privé, soit de continuer à me battre pour les idées que je crois les meilleures pour l’avenir économique du pays», résume Maxime Bernier.
Il ne regrette rien. «Je suis très content d’avoir lancé le Parti populaire, c’est un succès qui est au-delà de nos espérances», s’enthousiasme celui qui dit avoir l’intention de préconiser un «populisme intelligent» en annonçant le nom de son nouveau véhicule politique.
La reconstruction
Depuis, Maxime Bernier se promène aux quatre coins du pays pour promouvoir son offre politique.
Il espère que ses tweets aussi fassent du chemin — car les gazouillis sur le «multiculturalisme à l’extrême» ou celui où il plaide que «le CO2 n’est PAS de la pollution» mais «ce qui sort de votre bouche quand vous respirez et ce qui nourrit les plantes» sont conçus pour faire des vagues.
Tous les messages publiés sur le compte Twitter du député ne sont pas signés Bernier. Ils ont tous son sceau d’approbation, mais parfois, c’est son complice de longue date, Martin Masse, un ancien de l’Institut économique de Montréal, qui se charge de les rédiger.
«La stratégie, elle est bien simple: tous les matins, on regarde l’actualité, tous les matins, on a un appel d’équipe, et on décide sur quel sujet on va tweeter et quel va être le contenu du tweet», explique celui qui s’auto-surnomme «Mad Max».
La tactique démontre que Maxime Bernier «est un homme de son temps, ou il est entouré de gens de son temps, qui comprennent un peu le rôle que les médias sociaux numériques peuvent jouer», croit Thierry Giasson, professeur au département de science politique de l’Université Laval.
Quant au contenu, il est destiné à «des gens qui sont peut-être assez peu politisés» avec une «parole du gros bon sens» plutôt qu’une «parole experte»; et en ce sens, «l’exemple du CO2, c’est « textbook »», suggère-t-il.
Le stratège conservateur Tim Powers estime que la façon dont le député de Beauce exploite la plateforme est judicieuse pour quelqu’un qui «va devoir brasser la cage d’une manière ou l’autre» s’il espère avoir un succès politique.
«Ça ne veut pas dire qu’il ne se brûlera pas les doigts, mais il a probablement fait une analyse de risque. Il se dit probablement qu’à un pour cent dans les intentions de vote à l’échelle nationale, il n’a rien à perdre», analyse-t-il.
L’engagement
Les conservateurs tenteront de barrer la route à Maxime Bernier, notamment dans la circonscription qu’il détient depuis 2006.
S’il perd son siège, le Beauceron abandonnera-t-il le parti qu’il a fondé?
«Ben oui, ben oui! Vous me posez des questions hypothétiques», réagit-il.
«Peu importe ce qui arrive à la prochaine campagne électorale, je bâtis quelque chose, et c’est pour le long terme, et j’espère bien qu’à très court terme, on aura du succès», enchaîne celui qui, avant les tweets, s’était fait remarquer avec un «jingle».