MONTRÉAL — Le Tribunal du travail a annulé la suspension sans solde d’un employé qui exerce des fonctions syndicales chez Brault et Martineau, arguant que l’employeur a «aveuglément» et «sans discernement» appliqué sa directive de ne pas parler de syndicat pendant les heures de travail.
Le travailleur, Sergio Noivo, avait été suspendu sans solde durant une journée, le 14 mars dernier, après une conversation avec un autre employé à 9h15 alors qu’il n’y avait pas de client dans le magasin, au sujet d’un grief sur le «ratio vendeur».
L’employeur avait suspendu sans solde durant une journée M. Noivo, membre du syndicat des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, affilié à la FTQ. Il lui reprochait, dans une conversation de moins de deux minutes, d’avoir contrevenu à sa directive verbale de ne pas parler de syndicat pendant ses heures de travail.
Devant le tribunal, le représentant de l’employeur a justifié cette directive en affirmant qu’il ne pouvait courir le risque que les vendeurs se trouvent «dans un état où des discussions de ce genre-là vous nous mettre, vont nous sortir de notre zone de confort. On veut que les vendeurs soient dans des bonnes dispositions pour servir les clients», avec le sourire.
Après avoir entendu la preuve, le juge administratif François Beaubien, du district de Lanaudière, a estimé que l’employeur était allé trop loin dans son interprétation de sa directive.
«La preuve démontre que l’employeur applique aveuglément et sans discernement sa directive et qu’il présuppose que « discuter syndicat » placera automatiquement les vendeurs dans des dispositions telles que le service à la clientèle en sera notablement affecté. Pour lui, le seul fait de placer dans une conversation les mots grief, syndicat ou TUAC est une infraction, peu importe le contexte», écrit-il.
Et le juge administratif s’en étonne. «Si le souci de l’employeur est que les vendeurs soient dans tous leurs états lorsqu’un sujet « controversé » est abordé et que la clientèle en souffre, comment se fait-il qu’aucun autre sujet de discussion susceptible de prêter à controverse ne soit interdit? Qu’en est-il de la religion, la politique, le sport, la langue, les accommodements raisonnables?» ajoute le juge administratif Beaubien.
«Tout ce qu’on reproche au plaignant, c’est d’avoir glissé le mot grief dans une conversation somme toute privée entre deux personnes et qui a duré moins de deux minutes», conclut-il.
Il note en plus que «lui seul a été discipliné» et que l’employeur n’a même pas cherché à savoir qui avait amorcé la conversation. «Cela démontre que l’employeur lui a réservé un traitement particulier du seul fait de son rôle de délégué syndical, ce qui est interdit par le Code (du travail)», affirme le juge administratif.
En plus d’annuler la suspension sans solde d’une journée imposée au travailleur, le Tribunal ordonne à Brault et Martineau de lui verser à titre d’indemnité l’équivalent de son salaire et des autres avantages dont il avait été privé à cause de sa suspension.
Le travailleur avait aussi réclamé des dommages exemplaires, estimant que son droit à la liberté d’expression, protégé par la Charte des droits et libertés, avait été brimé. Comme il n’a pas présenté de preuve sur cet aspect, le Tribunal estime qu’il ne peut déduire aucune intention de la part de l’employeur de porter atteinte à la Charte.