Ottawa est critiqué par le commissaire à l’environnement dans cinq nouveaux rapports

MONTRÉAL — Ottawa n’en fait pas assez pour protéger les espèces en péril et le gouvernement ignore dans quelle mesure les règlements sur les gaz à effet de serre (GES) contribuent à réduire les émissions.

C’est ce qu’on peut lire dans une série de cinq rapports très critiques déposés jeudi par le commissaire à l’environnement et au développement durable, Jerry DeMarco.

Celui-ci conclut également qu’il est peu probable qu’Ottawa puisse tenir sa promesse de planter deux milliards d’arbres d’ici 2031 et que le gouvernement a encore beaucoup de travail à faire pour intégrer pleinement les risques liés aux changements climatiques dans la supervision financière.

En conférence de presse jeudi matin, Jerry DeMarco n’a pas été tendre envers les actions des différents gouvernements qui se sont succédé à Ottawa et il a invité l’administration de Justin Trudeau à redoubler d’ardeur pour protéger l’environnement.

«L’histoire du Canada, c’est beaucoup de bons mots, mais pas assez d’actions, c’est une série d’échecs depuis trente ans maintenant en ce qui concerne la lutte au changement climatique et la protection de la biodiversité».

Il a ajouté que le gouvernement a mis du temps à atteindre bon nombre de ses objectifs en matière de climat et de biodiversité.

«Le changement climatique et la biodiversité sont intrinsèquement liés et (…) ces deux crises doivent être traitées par des actions décisives et concertées», a déclaré le commissaire à l’environnement  lors de la conférence de presse à Ottawa.

Le ministre de l’Environnement a défendu son bilan en point de presse jeudi après-midi, en faisant valoir que la publication des rapports du commissaire ne tenait pas compte du dernier inventaire de GES du Canada.

«On a diminué les GES de 53 millions de tonnes de 2019 à 2021», a indiqué Steven Guilbeault.

L’inventaire annuel des émissions du Canada pour 2021, qui a été publié vendredi dernier, montre que les émissions de toutes les sources se sont élevées à 670 millions de tonnes cette année-là. Ce chiffre est en hausse par rapport aux 659 millions de tonnes enregistrées en 2020, pendant la pandémie.

Bien que les émissions aient légèrement augmenté, elles sont restées inférieures au niveau d’avant la pandémie en 2019 et au niveau de 2005, qui est la cible de comparaison pour l’objectif d’émissions du Canada pour 2030.

«Notre plan fonctionne, maintenant, il faut continuer», a indiqué le ministre en ajoutant que «nous avons la meilleure performance de tous les pays du G7 en matière de réduction des GES, au cours des deux dernières années».

Des règlements dont on ignore l’efficacité

Selon le commissaire Jerry DeMarco, Environnement et Changement climatique Canada ne sait pas dans quelle mesure certains règlements sur la réduction des GES aident le pays à atteindre ses cibles.

L’un des rapports porte sur cinq règlements visant à réduire les émissions des voitures et des camions, des centrales électriques et de la production de pétrole et de gaz.

Le commissaire a souligné que bien qu’Environnement et Changement climatique Canada ait utilisé une modélisation scientifique pour estimer la quantité d’émissions que chacun des règlements éliminerait, le ministère n’a pas mesuré ni signalé si cela se produisait réellement.

Les émissions globales du Canada ont diminué ces dernières années, mais le rapport souligne que le ministère a de la difficulté à signifier et à déterminer combien peuvent être attribuées à des politiques individuelles parce que certaines d’entre elles se chevauchent.

Appelé à commenter ces constats, le ministre Guilbeault a indiqué «que le commissaire a raison», et qu’il est compliqué de mesurer l’impact de certains règlements.

«Ça peut être difficile de dire si la tonne de réduction X qu’on est allé chercher, est-ce que c’est la tarification carbone? Est-ce que c’est le règlement sur les carburants propres? Le règlement sur le méthane?».

Le ministre a  ajouté que les modélisations utilisées représentent «un processus d’amélioration en continu» et que le Canada travaille avec les États-Unis, l’Europe et des «experts à l’externe» pour améliorer la situation.

Jerry DeMarco a constaté «des résultats inégaux» concernant les règlements sur les émissions. Ainsi, «les règlements visant à réduire les émissions liées à la production d’énergie ont atteint leurs cibles, tandis que certains des règlements visant à réduire les émissions des véhicules les avaient manquées».

L’un des rapports publiés jeudi matin souligne que les GES des automobiles ont diminué au pays, par contre, cette baisse a été contrebalancée par une hausse encore plus importante des émissions de camions légers et de véhicules lourds, «comme les autobus scolaires et urbains et les camions de transport de marchandises, de livraison, à ordures et à benne».

Espèces en périls : des efforts insuffisants

L’un des rapports du commissaire DeMarco souligne que même si la plupart des espèces sauvages menacées ou en voie de disparition sont visées par un programme de rétablissement, plus de la moitié de ces espèces ne font pas l’objet d’un plan d’action pour favoriser leur rétablissement.  

«Sur les 520 espèces en péril ayant été évaluées à nouveau depuis 1982, 416 (80 %) ne présentaient aucun changement de situation ou s’inscrivaient dorénavant dans une catégorie de risque plus élevé», indique également l’audit du commissaire.

Celui-ci a également constaté un arriéré important dans la publication de rapports qui doivent rendre compte des progrès réalisés dans les programmes de rétablissement et les plans de gestion.

Environnement et Changement climatique Canada aurait produit un seul des 399 rapports sur les progrès qu’il devait produire pour des espèces sous sa responsabilité.

«Sans cette surveillance continue, le gouvernement pourrait rater des occasions d’améliorer les résultats à l’égard des espèces en péril», a écrit le commissaire DeMarco.

Loin de l’objectif de 2 milliards d’arbres

Selon le commissaire à l’environnement, Ottawa est loin d’atteindre son objectif de planter deux milliards d’arbres en dix ans.

Les libéraux ont d’abord fait cette promesse lors de la campagne électorale fédérale de 2019 et ont ensuite octroyé un budget de 3,2 milliards de dollars un an plus tard, pour y arriver.

Le commissaire à l’environnement a expliqué que son audit a révélé des accords signés pour ne planter que 76,2 millions d’arbres d’ici 2030, soit 3,8 % de l’objectif de deux milliards.

Le commissaire a indiqué avoir constaté que Ressources naturelles Canada et Environnement et Changement climatique Canada, n’ont pas fourni «de vue d’ensemble claire et complète du rôle des forêts par rapport aux émissions de gaz à effet de serre au Canada».

«Je tiens à préciser qu’il est important de ne pas abandonner. Nous devons plutôt nous réorienter pour que des solutions comme le programme deux milliards d’arbres aboutissent et que nous ayons le tableau complet de l’incidence de nos forêts sur les émissions de gaz à effet de serre», a indiqué M. DeMarco.

Appelé à réagir, le député bloquiste Mario Simard a indiqué en point de presse que son parti avait tenté de «connecter» le gouvernement avec Carbone boréal, un centre de recherche de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) qui aide les organisations à compenser les émissions de GES en plantant des arbres.

Mais, selon Mario Simard, le gouvernement libéral n’a «pas cherché à développer des liens avec des gens qui ont l’expertise pour faire ce genre de programme là».

Malgré le constat d’échec du commissaire DeMarco concernant la plantation des deux milliards d’arbres, le ministre Steven Guilbeault a affirmé que son gouvernement demeure engagé à atteindre ses objectifs.

«On se relève les manches et on accélère le pas», a indiqué le ministre.

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