MONTRÉAL — Certains propriétaires ne se gênent même plus pour faire de la discrimination au grand jour lorsqu’ils offrent leurs logements à louer.
Profitant de la pénurie de logements et de la très faible possibilité d’être sanctionnés, ces propriétaires publient des annonces dans lesquelles ils avertissent qu’ils n’acceptent que certaines ethnies, découragent des familles, exigent des preuves de revenu stable et refusent des étudiants, prestataires d’aide sociale ou chômeurs et ainsi de suite.
Toutes ces pratiques sont illégales, mais le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) a présenté jeudi un répertoire d’annonces où les éléments de discrimination sont nombreux et variés, touchant l’état civil, l’âge ou même la seule présence d’enfants, la condition sociale et l’âge de l’aspirant locataire, le sexe ou l’origine ethnique.
«Asiatique ou de peau blanche»
Ainsi, on y retrouve des mentions exigeant des «personnes retraitées ou semi-retraitées», un «couple ou personne seule dans la quarantaine ou plus», une «personne sans enfant», une personne «avec enfants de 10 ans et plus», une «personne asiatique ou de peau blanche» et ainsi de suite.
Le Regroupement affirme avoir constaté le même genre de sans-gêne face à la discrimination dans toutes les villes où sévit une importante pénurie de logements, notamment à Montréal, à Québec, à Gatineau et à Drummondville.
«Les endroits où il n’y a pas de pénurie, les propriétaires n’ont pas avantage à discriminer parce qu’ils doivent louer leurs logements. C’est vraiment relié aux pénuries de logements», explique Marjolaine Deneault, porte-parole du RCLACQ.
«La discrimination va toujours avoir lieu, mais elle est exacerbée avec la crise. Donc on la voit de manière moins cachée, plus évidente dans les annonces.»
La Régie impuissante
Or, bien qu’illégales, ces pratiques de recrutement discriminatoires ne sont guère risquées. La Régie du logement est en effet impuissante face à ces pratiques, explique Mme Deneault: «La Régie n’a aucun pouvoir tant qu’un bail n’est pas signé. Plusieurs locataires vont se tourner vers la Régie, mais elle ne peut absolument rien faire.»
Les locataires n’ont qu’une seule option, soit de porter plainte à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ). Toutefois, ces plaintes prennent du temps, les sanctions — de quelques milliers de dollars — ne sont guère dissuasives et, surtout, ne sont pas une solution utile au demandeur de logement.
«La Commission n’a aucun pouvoir coercitif sur le coup. Elle doit faire enquête et ça peut prendre plusieurs années, même si c’est très évident, même si c’est écrit noir sur blanc, même s’il y a une preuve claire de discrimination, ça prend entre deux et quatre ans pour obtenir un verdict. Et ça ne donne pas de logement sur-le-champ non plus», soupire Mme Deneault.
Le «fléau» Airbnb
Une région est considérée en pénurie de logements lorsqu’il y a moins de 3 pour cent des logements disponibles. À Montréal, le taux de vacance est à 2,1 pour cent, mais encore plus faible dans certains quartiers. Selon le RCLALQ, il frise le zéro pour cent pour les grands logements pouvant accueillir des familles dans plusieurs quartiers. L’organisme souligne que les pénuries de logements sont devenues systémiques.
«C’est cyclique habituellement, mais là on a des problèmes de conversion de logements en condos et le gros fléau actuellement, c’est Airbnb. Beaucoup de logements sont retirés du marché locatif privé pour être transformés en Airbnb parce que les propriétaires considèrent que c’est plus payant. La crise, on la voit se dessiner depuis plusieurs années», déplore Mme Deneault, qui souhaite des efforts de construction de logements sociaux, de logements privés abordables et de coopératives plus intensifs.
Le Regroupement réclame aussi de la ministre responsable de l’Habitation, Andrée Laforest, une réforme de la Régie du logement pour, entre autres, lui donner juridiction sur le processus de location et la capacité d’imposer des dommages punitifs beaucoup plus dissuasifs aux propriétaires fautifs. Il réclame de plus que Québec donne davantage de moyens à la Commission des droits de la personne, afin qu’elle puisse traiter plus rapidement ce genre de plainte.