QUÉBEC — Des centaines de projets d’infrastructures seront placés prochainement sur la voie rapide, grâce à un allégement réglementaire orchestré par le gouvernement Legault.
Le gouvernement s’engage à ne pas renoncer pour autant à la rigueur du processus, ni à faire quelque concession que ce soit à l’intégrité des contrats publics.
Après des mois de crise sanitaire et de confinement, qui ont fait grimper le taux de chômage à plus de 17 %, le gouvernement est bien déterminé à relancer l’économie du Québec au plus tôt, en misant sur son projet de loi 61.
Le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, a déposé son projet de loi mercredi, et il l’a placé, lui aussi, sur la voie rapide. Il reste à peine six jours de session parlementaire et il veut le voir adopté avant l’ajournement du 12 juin.
La situation est «exceptionnelle», a plaidé en conférence de presse le ministre des Finances, Eric Girard, qui parle de la pire récession depuis la Deuxième Guerre mondiale. «Le gouvernement du Québec doit stimuler l’économie, (…) c’est notre rôle.»
Les deux hommes se sont présentés devant les journalistes mercredi munis d’une liste de 202 projets souvent déjà dans la machine gouvernementale et qualifiés de «consensuels».
Pour stimuler la relance, on parle donc d’accélérer la construction d’écoles, de maisons des aînés, de routes et de réseaux de transport collectif, essentiellement.
En mai, le ministre Dubé avait annoncé que le Programme québécois des infrastructures (PQI) passerait cette année de 11 à 14 milliards $, ce qui permettra de donner suite au projet de relance du gouvernement.
Fait à noter: le troisième lien routier entre Québec et Lévis, une promesse phare la Coalition avenir Québec (CAQ) en campagne électorale, ne figure pas sur la liste des 202 projets qui seraient accélérés.
En vertu du projet de loi 61, les projets pourraient bénéficier de «mesures d’accélération», telles que des «procédures d’expropriation allégées» et autres «allégements des règles procédurales».
Par exemple, «il faut avoir d’autres critères que celui de la règle du plus bas soumissionnaire», a expliqué Christian Dubé, y voyant un gage de plus grande efficacité.
Avec la loi 61, il sera dorénavant plus facile d’obtenir un permis de construction d’une municipalité pour construire une maison des aînés sur une terre du domaine de l’État.
«On n’ira pas à l’encontre de lois ou de règlements, mais on va s’assurer (…) en amont d’avoir les autorisations plus rapidement qu’on les aurait en temps normal», a-t-il déclaré, en promettant la même rigueur dans la gestion des coûts et la sécurité des bâtiments.
Le projet de loi va «offrir davantage d’agilité et de rapidité d’exécution dans le processus d’acquisition des organismes publics et du monde municipal, tout en préservant l’intégrité des marchés publics», a promis M. Dubé.
Y aura-t-il encore des dépassements de coûts? «J’espère que non», a répondu M. Dubé, qui n’a pas voulu prendre d’engagement à ce propos.
Les évaluations environnementales nécessaires pour une cinquantaine de projets seront réalisées comme prévu, a-t-il ajouté. C’est le processus pour arriver à l’évaluation environnementale qui sera raccourci.
M. Dubé ne s’en cache pas: il vise d’ici deux ans à faire la démonstration qu’il est possible d’aller plus vite et de favoriser un processus «moins bureaucratique» au Québec, en faisant passer des délais qui étaient d’un an à trois mois, par exemple.
«La crise nous a aidés à pousser le télétravail, à pousser la télémédecine, moi je pense que la crise peut nous aider à être plus efficaces dans la façon dont on donne des contrats», a-t-il ajouté.
Par ailleurs, le ministre Girard a dit s’attendre à ce que les coûts de construction dans les prochains mois soient moins élevés, considérant qu’il y a «moins de projets privés et plus de travailleurs disponibles».
Parmi les projets désignés dans le projet de loi, on retrouve notamment le prolongement du REM à Laval et sur la Rive-Sud, les tramways électriques à Longueuil, à Gatineau et à Montréal, la reconstruction du pont de l’Île-d’Orléans et le prolongement de l’autoroute 19.
Les partis d’opposition se sont montrés étonnés mercredi par l’ampleur de la pièce législative, qui ratisse large, prévoyant par ailleurs prolonger l’état d’urgence sanitaire déclaré le 13 mars 2020 «jusqu’à ce que le gouvernement y mette fin».
Le leader parlementaire de l’opposition officielle libérale, le député Marc Tanguay, a parlé d’un projet de loi «mammouth». «On parle d’expropriation, d’environnement, (…) d’état d’urgence, de reddition de comptes réduite, de rétroactivité et j’en passe», a-t-il énuméré.
Les libéraux souhaitent entendre en consultations particulières la vérificatrice générale, l’Association de la construction du Québec, la Commission de la construction du Québec et l’Union des municipalités du Québec, notamment.
Les réactions du milieu des affaires n’ont pas tardé à se manifester.
La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) est restée sur sa faim. Son président, Charles Milliard, a fait valoir que le gouvernement devait donner aux entreprises québécoises «tous les leviers nécessaires» pour mener à bien la relance de l’économie, ce qui devra passer par «une modification des critères d’octroi des contrats publics».
La FCCQ souhaite «que l’octroi des contrats publics mise désormais sur des critères de qualité, d’innovation, d’expertise et de durabilité, plutôt que le plus bas prix conforme».
Le Conseil du patronat (CPQ) abonde dans le même sens. «Le gouvernement mise sur l’accélération des processus et des délais de paiement, ainsi que des modes d’octroi de contrats publics basés davantage sur la qualité et la valeur. Ce sont des objectifs importants que le CPQ défend depuis longtemps», a commenté son président, Yves-Thomas Dorval.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) n’a pas caché sa déception de voir le peu d’intérêt porté aux petites et moyennes entreprises (PME).
«Les PME de tous les secteurs économiques crient à l’aide depuis deux mois. Plus du tiers des PME québécoises (37 %) sont en retard dans leurs paiements de factures comme le loyer, les cartes de crédit et leurs principaux fournisseurs. Il est urgent d’agir. Comment peut-on relancer l’économie et atténuer les conséquences de l’urgence sanitaire, comme l’indique l’intitulé du projet de loi, sans s’occuper des petites entreprises qui sont actuellement en train de tomber au combat? Nous sommes déçus», a indiqué le vice-président de l’organisme, François Vincent, qui espère voir le ministre apporter des amendements à son projet de loi.