QUÉBEC — Le gouvernement Legault s’apprête à légiférer en vue de combler un vide juridique qui pourrait avoir des conséquences graves, en cas de décès ou d’abdication de la reine Élisabeth II.
La ministre responsable des Relations canadiennes, Sonia LeBel, a déposé le projet de loi 86, jeudi matin, qui vise précisément à soustraire le Québec à toute éventualité, incluant une paralysie totale de l’État.
Le scénario peut paraître exagéré, voire loufoque, mais les juristes de l’État prennent la chose très au sérieux.
Ils craignent réellement que s’il fallait que la reine d’Angleterre, qui aura bientôt 95 ans, officiellement le chef de l’État canadien, rende son dernier soupir avant que l’Assemblée nationale légifère, le Québec se retrouve totalement paralysé, forcé de déclencher des élections générales anticipées.
Selon les experts du Secrétariat québécois des relations canadiennes, qui secondent la ministre LeBel, les trois fondements du pouvoir à Québec (l’exécutif, le législatif et le judiciaire) pourraient être ébranlés, voire ne plus être en mesure de fonctionner. Les titulaires de charges publiques (députés et ministres) perdraient leurs responsabilités. Les lois adoptées après la fin du règne de la souveraine pourraient être contestées.
Concrètement, le parlement serait alors dissous «et tous les actes de procédure devant les cours de justice seraient interrompus et devraient être réintroduits», confirme la ministre dans un communiqué.
Pour éviter un tel scénario catastrophe, la ministre LeBel entend procéder le plus rapidement possible, pressée de faire adopter au plus tôt son projet de loi «concernant la dévolution de la couronne» (soit le décès de la souveraine ou son abdication).
Le projet de loi, qui ne compte que quatre articles, stipule que «la dévolution de la couronne n’a pas pour effet de mettre un terme aux activités du Parlement du Québec, du gouvernement et des tribunaux ni de mettre un terme à une charge ou à un emploi».
Le projet de loi prévoit également que le serment d’allégeance à la souveraine, que doivent prêter tous les députés, ne deviendrait pas caduc.
Le Québec est d’ailleurs la seule province canadienne à s’être placée dans une position aussi délicate.
«À l’instar des autres provinces canadiennes, il faut nous assurer que nos dispositions législatives sont claires et qu’elles nous permettent de contrer tous les inconvénients qui résulteraient de la dévolution de la couronne. Nous nous assurons ainsi que la prochaine dévolution ne produira absolument aucun effet sur le déroulement des activités étatiques», a expliqué la ministre LeBel par voie de communiqué.
Il y a en fait près de 40 ans que le Québec se trouve dans cette situation pour le moins risquée et inconfortable.
En 1982, en marge du rapatriement de la Constitution canadienne, le gouvernement de René Lévesque avait biffé un article de loi prévoyant que la législature ne pouvait pas être dissoute en cas de décès du souverain. Depuis, apparemment, aucun gouvernement du Québec n’a pris la mesure du risque entraîné par cette décision.
Jeudi matin, l’opposition péquiste est revenue à la charge pour dire que l’Assemblée nationale devrait profiter de l’occasion pour éliminer toute présence de la monarchie britannique au Québec, notamment en abolissant le poste de lieutenant-gouverneur du Québec.
La situation «absurde» dans laquelle le Québec se trouve illustre «à quel point notre régime politique est désuet et complètement illégitime au Québec», a commenté le chef du Parti québécois, Paul Saint-Pierre Plamondon, en point de presse, ajoutant que les sondages indiquaient que la population dans son ensemble était favorable à l’abolition de la monarchie.
Sur le fond, le gouvernement Legault partage cette position et a d’ailleurs pris un engagement en ce sens, mais il estime que le moment n’est pas approprié pour y donner suite.