Aide médicale à mourir: Barrette et Hivon ravis du jugement de la Cour suprême

MONTRÉAL – Le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, accueille avec une «grande satisfaction» la décision de la Cour suprême du Canada portant sur l’aide médicale à mourir, tandis que la marraine du projet de loi québécois, la députée péquiste Véronique Hivon, reçoit la décision avec bonheur et émotion.

Dans un jugement historique, le plus haut tribunal du pays a invalidé vendredi l’interdiction de l’aide médicale à mourir pour les patients gravement malades qui était prévue au Code criminel.

Cette décision unanime enthousiasme le ministre Barrette, car il estime qu’elle est le reflet de la transformation de la mentalité collective autant à l’échelle provinciale qu’au plan national.

Il a expliqué qu’au Québec, «on a conclu ce dossier-là» en «travaillant de façon extrêmement collégiale» afin d’adopter le projet de loi «Mourir dans la dignité». Par la suite, le débat s’est transposé dans le reste du Canada, a-t-il dit.

Le ministre a laissé entendre qu’à l’instar de ce qui s’est passé au Québec, l’opinion publique a progressivement changé ailleurs au pays. Dans les circonstances, Ottawa n’aura d’autre choix que de reconnaître cette évolution, selon lui.

«Le gouvernement du Canada devra faire comme tous les gouvernements, (c’est-à-dire) répondre aux aspirations de la population», a-t-il lancé devant la presse.

Dans sa décision, le plus haut tribunal du pays a déterminé qu’il était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés d’imposer une prohibition totale de l’aide médicale à mourir.

Cependant, l’invalidité des articles du Code criminel liés à cette pratique s’applique seulement à un certain groupe de personnes: les adultes en état de consentir à mettre fin à leur vie et qui sont touchés par des problèmes de santé graves et irrémédiables leur causant des douleurs intolérables.

La Cour suprême du Canada a suspendu la déclaration d’invalidité des articles du Code criminel pour un an, histoire de laisser le temps au fédéral de réécrire sa loi, s’il le souhaite. Dans l’intervalle, le suicide assisté demeure illégal.

Le Québec, un pionnier

Selon Véronique Hivon, le Québec a fait office de pionnier en adoptant une loi sur les soins de fin de vie qui a inspiré la Cour suprême du Canada à décriminaliser l’aide médicale à mourir. Et l’avocat spécialisé en droit de la santé Jean-Pierre Ménard abonde dans le même sens, affirmant que des juristes de l’Ontario et de la Colombie-Britannique lui ont parlé de ce qu’avait fait le Québec en la matière.

La députée de Joliette, qui a piloté le dossier alors qu’elle était ministre dans le gouvernement péquiste, estime que cela enlèvera des munitions aux détracteurs de la loi québécoise, qui laissaient «planer une épée de Damoclès» en arguant que celle-ci n’était «pas légitime» ni «fondée sur des assises juridiques réelles».

Selon Mme Hivon, les autres provinces canadiennes ont maintenant «la recette à suivre» pour élaborer un cadre juridique encadrant l’aide médicale à mourir.

La décision de la Cour suprême du Canada va encore plus loin que les dispositions prévues à la loi québécoise, car elle autorise l’aide à mourir pour toute personne adulte atteinte de problèmes de santé graves et irrémédiables lui causant des souffrances physiques ou psychologiques persistantes et intolérables.

Selon Me Ménard, cela exclura les personnes lourdement handicapées, qui estiment qu’elles n’ont plus guère de qualité de vie et qui voudraient mettre fin à leurs jours, puisqu’elles n’éprouvent pas de souffrances physiques intolérables. «On n’a pas ouvert les vannes toutes grandes. Ce n’est pas l’euthanasie ‘at large’ qu’on vient de légaliser», a-t-il souligné.

Invitée à commenter cet aspect en conférence de presse à l’Assemblée nationale, Mme Hivon a voulu se montrer prudente.

«Est-ce que ça veut dire qu’au Québec, on va pouvoir élargir? Possiblement que c’est une question qui va devoir être regardée dans les prochains mois pour aussi permettre cette possibilité-là, mais ça ne veut pas dire que la loi québécoise doit être changée», a-t-elle laissé tomber.

Me Ménard estime que cet arrêt de la Cour suprême a le mérite de rassurer les médecins qui se montraient encore hésitants.

Selon l’avocat, il faudra maintenant garder l’oeil sur le gouvernement Harper, afin de s’assurer qu’il ne fasse pas «d’entourloupettes pour contourner» la décision de la Cour suprême et la loi québécoise. «Il n’y a plus d’obstacle pour que la loi québécoise entre en vigueur», a-t-il conclu.

Me Ménard a par ailleurs déploré le fait que le gouvernement fédéral ait agi avec les soins en fin de vie comme il a agi avec l’avortement et le mariage entre conjoints de même sexe, c’est-à-dire qu’il ait laissé les tribunaux décider à sa place au lieu de trancher lui-même cette question.

Par contre, pour l’association Vivre dans la dignité, le jugement est une grande déception.

Le groupe souhaitait que l’interdiction de l’aide médicale à mourir soit maintenue, afin de protéger les populations les plus vulnérables, dont celles qui souffrent de maladies mentales ou de dépression.

Selon le président de l’association, le docteur Marc Beauchamp, la décision de la Cour suprême tourne autour du consentement des personnes.

«Mais la question du consentement est extrêmement problématique sur le terrain», a dit le chirurgien orthopédiste pour qui il n’y a aucun doute que des erreurs seront faites.

Et même si la Cour parle de balises et d’encadrement pour que les personnes vulnérables donnent un réel consentement et non pas un qui résulte d’une détresse psychologique, «ces balises ne sont jamais complètement efficaces ni suffisantes», prévient-il, affirmant se baser sur son expérience et sur celle d’autres médecins.

Il aimerait que le gouvernement concentre plutôt ses efforts à augmenter l’accessibilité aux soins palliatifs pour les personnes en fin de vie.