MONTRÉAL – Les derniers extraits d’écoute électronique entendus mercredi par la Commission Charbonneau montrent que c’est le 16 février 2009 que le président de la FTQ, Michel Arsenault, a eu la preuve que le caïd Raynald Desjardins occupait un poste de direction dans l’entreprise Carboneutre.
Dans un extrait, on entend Ken Pereira, ancien directeur de la section locale des mécaniciens industriels à la FTQ-Construction, informer Michel Arsenault qu’il a en main la carte d’affaires de Desjardins, qui porte le titre de «vice-président des opérations internationales du centre de traitement de sols contaminés» Carboneutre.
Or, Carboneutre tentait depuis des mois d’obtenir un prêt du Fonds de solidarité de la FTQ et M. Arsenault, pressé par le directeur général de la FTQ-Construction Jocelyn Dupuis, poussait aussi ce dossier. Il avait même visité le chantier.
Informé ainsi par Ken Pereira du rôle de Raynald Desjardins, M. Arsenault a semblé mal à l’aise. Ils conviennent que Ken Pereira ira porter la carte d’affaires, la preuve, à la secrétaire de M. Arsenault. «Mets ça dans une enveloppe, je ne veux pas que personne voit ça. Ça me prend ça dans une enveloppe scellée», lui dit M. Arsenault.
Le Fonds n’a jamais investi dans l’entreprise Carboneutre, malgré des mois de démarches par Jocelyn Dupuis qui poussait sans cesse et demandait des comptes.
Carboneutre a fait trois demandes de financement, soit directement au Fonds de solidarité, soit à son Fonds régional. Les trois ont été refusées. On y justifie les refus par des problèmes de viabilité, de «prévisions financières irréalistes», mais «jamais on ne mentionne que c’est à cause de la présence du crime organisé», a relevé le procureur de la commission, Me Denis Gallant.
L’entreprise Carboneutre a aussi tenté d’obtenir des fonds d’Investissement Québec, en vain.
Jusque-là, M. Arsenault, qui est aussi président du conseil d’administration du Fonds de solidarité, avait semblé à la fois dire à Jocelyn Dupuis qu’il poussait le dossier auprès du Fonds et affirmer aux représentants du Fonds qu’il les laissait libres de décider.
Par exemple, dans une conversation du 24 novembre 2008 entre Michel Arsenault et Gaëtan Morin, un employé du Fonds de solidarité, M. Arsenault affirme que «ce serait un ‘deal’ intéressant si c’était entre les mains de quelqu’un d’autre». On ignore à qui il fait référence.
Toutefois, un peu plus tard, il fait clairement référence à Domenico Arcuri, engagé au sein de l’entreprise et qui est présumé proche du crime organisé italien. «J’ai l’impression que Dominique ne sera plus dans aucun meeting. J’ai pogné Jocelyn après et je lui ai dit ‘écoute, là, il y a des limites’», a rapporté M. Arsenault à M. Morin.
Mais M. Arsenault semble aussi laisser au représentant du Fonds son libre arbitre. «Quand quelqu’un te dit qu’il est référé par moi, là, tu regardes le dossier et si ça a de l’allure, on le développe; et si ça n’a pas d’allure, t’arrêtes ça. Tu m’appelles ou tu m’envoies un courriel de trois, quatre lignes pour m’expliquer pourquoi qu’on ne le fait pas. C’est pas plus compliqué que ça.»
M. Arsenault se plaint aussi des sollicitations incessantes depuis qu’il est devenu président du conseil d’administration du Fonds de solidarité. «Je suis rendu un homme public, tabarnak. Je me fais harceler toujours. Et je ne peux pas commencer à dire non aux gars. C’est pas moi qui va étudier le dossier. Je dis: appelez au Fonds.»
Dans un extrait d’écoute entre M. Arsenault et son conseiller politique Gilles Audette, il est question de l’entourage douteux de Carboneutre. «Je suis allé fouiller et ils ont été mêlés à des patentes avec le clan Rizzuto», rapporte M. Audette à M. Arsenault.
M. Arsenault confirme avoir rencontré Domenico Arcuri lors d’une présentation du projet au Fonds.
«Dominique, c’est un bandit. Lui, c’est un vrai. Il parle ni anglais, ni français, là. Le vrai Italien de Montréal qui a été élevé en anglais et qui a appris le français après 1976, tout croche là. J’ai dit à Jocelyn ‘tu ramènes ça à mon bureau, puis c’est fini, hein? Ton deal ne passe pas’», rapporte M. Arsenault à son conseiller politique.
M. Arsenault exprime son mécontentement. «Et il y en a un que Jocelyn m’a toujours caché. Quand il va revenir le 1er avril, je vais le pogner mon Jocelyn, je vais lui dire ‘regarde, oublie ça, c’est non’.»
«Toi, signerais-tu un deal avec Vito Rizzuto?» lance M. Arsenault en boutade à son conseiller.
M. Audette lui dit qu’ils vont sûrement l’enlever du dossier et qu’«il faut décliner ce dossier-là sur un autre motif».
Michel Arsenault réplique: «je pense que ce serait important que Jocelyn le sache; il ne sait pas que je le sais.»
Son conseiller Audette manifeste aussi sa lassitude face à Ken Pereira, souhaitant à voix haute qu’il s’en aille «aux îles Mouk-Mouk».
Il y est aussi question d’une vidéo de Pereira. Interrogé à ce sujet, l’enquêteur de la commission, Nicodemo Milano, a expliqué que M. Pereira avait mis sur Youtube des vidéos dans lesquelles il montrait les reçus de Jocelyn Dupuis, comme preuve au cas où ils disparaîtraient.
Il ressort aussi de l’écoute électronique que Jocelyn Dupuis a joué un rôle de plus en plus important au sein de l’entreprise Carboneutre après avoir quitté la FTQ-Construction.
D’ailleurs, Raynald Desjardins se décrit comme son «boss» dans un extrait d’écoute électronique, bien qu’il soit resté dans l’ombre lors des démarches auprès du Fonds de solidarité.
Plus tard, Dominique Arcuri sera aussi peu à peu mis de côté, parce que les autres membres de l’équipe de gestion trouvent qu’il nuit au dossier, notamment parce qu’il continue d’accepter des sols contaminés aux métaux lourds, en contravention avec le certificat d’autorisation obtenu du ministère de l’Environnement.