QUÉBEC – Le gouvernement Marois interdira aux employés de l’État de porter des signes religieux visibles, s’il réussit à faire adopter son projet de loi 60, déposé jeudi par le ministre responsable des Institutions démocratiques, Bernard Drainville.
Intitulé «Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement», le projet de loi 60, tant attendu, se situe en droite ligne des orientations présentées en septembre par le ministre.
Ainsi, Québec maintient le cap quant à l’aspect le plus controversé de son objectif de laïcité, soit d’interdire à tous les employés de l’État, au sens large du terme, de porter tout «objet marquant ostensiblement une appartenance religieuse», incluant «un couvre-chef, un vêtement, un bijou ou une autre parure».
Si le projet de loi entre en vigueur, l’interdit s’étendra aux personnes ayant un pouvoir de coercition (juges, policiers, agents de la paix), aux enseignants du primaire à l’université ainsi qu’au personnel des commissions scolaires, au personnel du réseau de la santé (incluant les médecins, dentistes et sages-femmes, s’ils oeuvrent dans le réseau), et au personnel des services de garde subventionnés.
En Chambre, le ministre Drainville a justifié ce choix en disant qu’on ne devait pas se contenter d’une «neutralité de fait» en matière de laïcité, mais plutôt privilégier «une neutralité d’apparence également», a-t-il dit.
Les employés de l’État auront un an pour se conformer à la loi. Ceux qui refuseront d’obtempérer s’exposeront à des sanctions, pouvant aller jusqu’au congédiement. Il «faut s’assurer que la loi soit respectée», a dit le ministre en conférence de presse, visiblement mal à l’aise d’aborder ce volet de sa réforme. «On ne veut pas en arriver là», a-t-il assuré.
Quant à eux, les employés embauchés par l’État après l’entrée en vigueur de la loi n’auront pas droit à une période de grâce.
Le projet de loi 60, qui compte une vingtaine de pages et 52 articles, stipule que les droits fondamentaux doivent s’exercer «dans le respect des valeurs que constituent l’égalité entre les femmes et les hommes, la primauté du français ainsi que la séparation des religions et de l’État, la neutralité religieuse et le caractère laïque de celui-ci».
Tous les organismes publics devront faire preuve de neutralité en matière religieuse et refléter le caractère laïque de l’État québécois.
Tout service de l’État devra être fourni et reçu à visage découvert.
Le projet de loi précise aussi ce qu’on entend par accommodement religieux, fournit un cadre d’analyse et définit les conditions rendant un tel accommodement acceptable.
La première ministre Pauline Marois a dit, en conférence de presse, qu’elle était persuadée que ce projet de loi allait un jour être perçu comme un document ayant «contribué à rapprocher les Québécois de toutes les origines, comme l’a fait la charte de la langue française (la loi 101)», à l’époque.
Elle a dit souhaiter que le débat à venir autour du projet de loi, qui s’annonce houleux, se fasse dans une «atmosphère sereine et respectueuse».
Pour éviter une loi à deux vitesses, le droit de retrait prévu initialement a été remplacé par une période de transition accordée aux municipalités, établissements de santé, cégeps et universités, qui auront finalement un maximum de cinq ans pour se conformer à la loi.
Malgré tout, Québec consent à des exceptions: certains établissements de santé réfractaires à l’esprit de la loi pourront en être éventuellement exemptés. Pour ce faire, ils devront présenter au gouvernement une demande de prolongation un an avant la sanction de la loi. Une exemption, d’une durée indéterminée, pourra être accordée en tenant compte, notamment, «de l’historique de l’établissement et des conditions de sa création ainsi que du caractère continu, au sein de celui-ci, d’une dimension confessionnelle».
La question litigieuse du crucifix qui trône derrière le fauteuil du président de l’Assemblée nationale devra quant à elle être réglée par le Bureau de l’Assemblée nationale, chargé de décider s’il faut ou non le laisser en place, puis entérinée par les élus dans le cadre d’une motion.
Selon le ministre Drainville, le projet de loi 60 repose «sur des assises juridiques solides».
Il a dit entreprendre la suite des choses «dans un esprit de collaboration et d’ouverture», en tenant compte que le gouvernement est minoritaire et a besoin d’un des partis d’opposition pour espérer faire adopter le projet.
Le leader du gouvernement, Stéphane Bédard, a dit souhaiter la consultation la plus large possible et permettre «à le plus de gens possible de se faire entendre» sur le projet de loi 60.
Dans le meilleur des cas, le projet de loi ne risque pas d’être adopté avant le printemps.
Tôt en matinée, M. Bédard avait causé tout un émoi dans les couloirs du parlement, en affirmant, sur un ton solennel, qu’il assimilait le consentement de la Chambre au dépôt du projet de loi 60 à un vote de confiance envers le gouvernement. Une éventuelle opposition au dépôt aurait donc pu entraîner la dissolution de la Chambre et le déclenchement d’élections générales anticipées.
Mais personne ne s’est opposé à ce que le projet soit déposé.
Le chef libéral Philippe Couillard a qualifié la manoeuvre parlementaire du gouvernement de «farce cynique».