Hausse du tarif de garderie: le CSF dit craindre un retour au foyer

QUÉBEC – Le Conseil du statut de la femme (CSF) reproche au gouvernement Couillard de ne pas avoir pris la peine d’évaluer l’impact sur les femmes de sa décision de hausser les tarifs de garderie.

Or, une hausse de tarif pourra inciter certaines mères à renoncer à leur emploi, pour demeurer au foyer, selon la présidente du CSF, Julie Miville-Dechêne, venue jeudi commenter en commission parlementaire le projet de loi 28 ayant pour effet de moduler les tarifs des places en garderie en fonction du revenu des parents.

On ne peut pas prétendre vouloir ériger au Québec une société égalitaire pour les femmes en négligeant de s’assurer que les lois adoptées n’entraîneront pas de recul pour elles, a soutenu la présidente de l’organisme-conseil.

Elle demande donc au gouvernement de faire preuve «d’une extrême prudence» avant de donner suite au projet de loi controversé, et l’exhorte à documenter cette question «de façon extrêmement serrée», en raison des conséquences possibles sur le taux d’activité des femmes et sur leurs choix de vie.

Toutes les études démontrent qu’une hausse des frais de garde a un impact sur la place occupée par les femmes sur le marché du travail, a-t-elle fait valoir au ministre des Finances, Carlos Leitao, qui pilote ce projet de loi.

«Le prix des garderies est un élément important» du choix des mères de travailler ou de rester à la maison, a soutenu Mme Miville-Dechêne, en point de presse, avant de se présenter en commission.

Elle a dit craindre plus particulièrement la réaction des familles dont le revenu global se situe entre 50 000 $ et 100 000 $ par année, d’autant plus qu’en général les femmes gagnent moins que les hommes et dans bien des cas travaillent à temps partiel.

Pour un revenu familial de 100 000 $, la majoration prévue du tarif entraînera une ponction supplémentaire de 4 $ par jour dans les poches des parents, «ce n’est pas rien», a-t-elle dit.

La tentation des femmes ayant un revenu modeste de se transformer en mères au foyer en sera plus grande, dans ce contexte, selon elle, marquant ainsi un recul de l’indépendance financière des femmes, un enjeu au coeur du mouvement féministe depuis des décennies.

Le réseau des services de garde subventionnés _ avec ses places à 5 $ par jour, puis à 7 $ et plus récemment à 7,30 $ _ bâti au Québec depuis près d’une vingtaine d’années est «une belle réussite», a-t-elle fait valoir, mais cet acquis demeure fragile et tout changement tarifaire risque de renforcer les inégalités entre les hommes et les femmes.

Sans étude d’impact faite par Québec, il est impossible de mesurer la réaction des mères à la loi 28, selon la présidente du CSF.

En novembre, au moment du dépôt du projet de loi, la ministre de la Famille, Francine Charbonneau, avait avoué qu’elle n’avait pas songé à évaluer cet impact sur les choix des femmes.

Mme Miville-Dechêne a sourcillé quand le ministre Leitao lui a demandé si le fait pour une femme de demeurer quelques années à la maison avec ses enfants était un «choix légitime» à ses yeux.

Ce n’est pas là la question, a-t-elle répliqué, en ajoutant que l’important consistait à faire en sorte que les femmes fassent ce choix en toute connaissance de cause et pour les bonnes raisons.

Quant au mode de financement du réseau, le CSF ne s’oppose pas au principe de la modulation du tarif.

Selon le projet de loi 28, le coût d’une place pourrait atteindre jusqu’à un maximum de 20 $ par jour.

Dans un communiqué transmis jeudi soir, Mme Charbonneau a fait valoir que le gouvernement avait «pris en compte toutes les situations pour ainsi faire la meilleure proposition aux familles québécoises». La ministre a ajouté que le gouvernement était convaincu que la nouvelle tarification proposée était «la plus juste et la plus équitable pour toutes les familles» du Québec.

Mme Charbonneau a fait valoir d’autres statistiques qui démontreraient qu’«au sein du reste du Canada, là où les coûts des services de garde sont beaucoup plus élevés, une hausse du taux d’emploi et du taux d’activité chez les femmes de 25 à 44 ans a aussi été enregistrée durant la même période».

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Si le prix des garderies est un élément important du choix des mères de travailler contre rémunération ou non, il faudra cesser de tenter de nous faire croire que le travail rémunéré est la pierre d’assise de l’identité des femmes et que TOUTES les femmes ne rêvent que de se déployer dans des semaines de 40 heures de bureau pour elles et de CPE pour leurs petits. Certaines femmes ne travailleraient-elles « que » parce que notre société les y pousse de toutes ses forces?

Une société égalitaire est celle qui permet une égalité de moyens et de choix à toutes ses citoyennes et citoyens (Amartya Sen, Martha Nussbaum). À mon sens (et celui de la grande philosophe américaine Nancy Fraser), l’équité qui reconnaît les différences d’aspiration (notamment entre les femmes et les hommes) est plus à même de conduire à une véritable égalité qu’un modèle unique (« indépendance » financière par le tout-au-travail rémunéré) imposé à toutes et tous. C’est un leurre de penser que ce modèle unique (couple de doubles pourvoyeurs) est une caution d’égalité. Dans les faits, ce modèle reproduit les schémas traditionnels. Par exemple, les femmes travaillent 40 h ET consacrent plus de temps à s’occuper des enfants. Advenant une séparation, elles sont plus pauvres que les hommes MÊME SI elles ont travaillé durant l’union, etc. Ce qu’il faut, c’est protéger légalement le temps que les femmes consacrent à leur famille et qui profite à tous.

Finalement, je pense que le gouvernement Couillard a certes plusieurs idées extrêmement délétères en tête avec sa déplorable austérité, mais inciter les femmes à être à la maison n’en est certainement pas une. Un gouvernement libéral a tout intérêt à ce que le plus de monde possible travaille, même en échange de conditions qui se réduisent de plus en plus à peau de chagrin. Je pense que le gouvernement a fort justement modulé sa hausse pour que le modèle « double pourvoyeur » demeure « avantageux » (sur le plan strictement comptable, on s’entend).

Annie Cloutier
Auteure d’Aimer, materner, jubiler. L’impensé féministe au Québec
Blogueuse à annieetlasociologie.wordpress.com