OTTAWA – Le dernier dimanche de juin de 1914, un étudiant âgé de 19 ans a tiré deux coups de feu qui ont tué l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche et son épouse, Sophie. L’écho de ces tirs ne s’est jamais vraiment estompé.
L’héritier du trône de l’empire austro-hongrois visitait ce qui était alors une ville obscure de la Bosnie, Sarajevo, lorsqu’il a croisé un groupe d’assassins éventuels, dont Gavrilo Princip. L’un d’eux a lancé une bombe, qui n’est pas parvenue à blesser l’archiduc. Mais un mauvais virage de son chauffeur a mis François-Ferdinand sur la route de Princip. Le jeune homme a fait feu, blessant mortellement l’archiduc et sa femme, et a précipité un cataclysme.
Les assassins étaient liés à une société secrète en Serbie, qui était alors un pays en bonne et due forme. Ces liens allaient éventuellement mener à un désastre.
L’archiduc a fait l’objet d’un deuil plutôt modeste, même à Vienne, mais sa mort, le 28 juin, a été le catalyseur de la Première Guerre mondiale, considérée comme la plus grande catastrophe du 20e siècle.
Les répercussions de ce conflit continuent de se faire sentir. Les affrontements implacables dans les Balkans pendant les années 1990, de même que les tensions et les effusions de sang au Moyen-Orient, tirent leurs racines de cette guerre.
En 1914, les citoyens vouaient un grand respect aux institutions et à l’autorité. Les gouvernements et les églises étaient perçus comme des piliers de l’ordre et de la stabilité sociale. L’aristocratie était une part intégrante de la majorité des pays; elle bénéficiait du respect qui lui était dû.
Le patriotisme était considéré comme une vertu. Le nationalisme était chose naturelle.
À l’échelle internationale, la politique et le pouvoir appartenaient aux soi-disant grandes puissances: le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Russie, la France et, par moments, l’Italie. Les États-Unis, qui commençaient à peine à se servir de leur puissance industrielle et économique, ne faisaient pas partie de ce club sélect. L’Afrique et l’Asie consistaient en des colonies appartenant à l’un ou l’autre des poids lourds européens. Le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande étaient des colonies autonomes, mais des colonies néanmoins.
L’économie et les finances des grandes puissances étaient étroitement liées. Les relations entre elles pouvaient être délicates, mais l’Europe n’avait pas été le théâtre d’un conflit majeur depuis la fin des guerres napoléoniennes, un siècle plus tôt. Il y avait eu un affrontement entre la France et l’Allemagne en 1870, qui a coûté à la France deux de ses territoires de l’est, mais aux yeux de plusieurs, il s’agissait d’une exception pendant une époque généralement pacifique.
Mais sous la surface subsistaient des tensions et des pressions. La France, méfiante face à une Allemagne plus populeuse et plus forte, craignait une reprise de 1870 et s’est alliée avec la Russie, par précaution.
À la suite de cette alliance, l’Allemagne s’est sentie coincée entre des ennemis à l’est et à l’ouest. Le seul allié de Berlin, l’Autriche-Hongrie, était un rassemblement fragile, voire délabré, de minorités souvent antagonistes.
Vienne avait peur que la Serbie, pays voisin, tente de promouvoir une révolution à l’intérieur de l’empire austro-hongrois.
La Russie, qui avait perdu une guerre contre le Japon en 1906, craignait que son statut de grande puissance ne s’érode, au moment où elle tentait tant bien que mal de rebâtir son armée et de moderniser ses industries. Même le Royaume-Uni, en sécurité derrière sa puissante force maritime, ressentait sa traditionnelle peur de voir un autre pays dominer l’Europe, surtout la mer du Nord et les côtes de la Manche.
En 1914, selon les mots qu’a employés Winston Churchill, le monde était confronté «à la somme de ses peurs».
Pendant quelques semaines après l’assassinat de l’archiduc d’Autriche et de sa femme, la situation semblait calme.
Mais la crise qui couvait a commencé à s’enflammer vers la fin de juillet. Vienne s’est servie des assassinats comme prétexte pour étouffer la Serbie une fois pour toutes, et serrer la vis à sa propre minorité slave. Les Autrichiens ont pris la précaution de demander à Berlin de les appuyer dans l’éventualité où la Russie tenterait de s’interposer en appui à la Serbie. L’Allemagne a accepté — le soi-disant chèque en blanc perçu par de nombreux historiens comme une étape majeure menant à une guerre totale.
Le 23 juillet, Vienne sert un ultimatum à la Serbie, livré dans des termes qu’aucun pays souverain ne pouvait accepter. Les Serbes ont suggéré l’arbitrage dans le but de résoudre le litige, mais ont néanmoins commencé à mobiliser des troupes. Les Autrichiens les ont imités deux jours plus tard.
À cette époque, la mobilisation était vue comme la dernière étape avant le début de la guerre. Cette mesure permettait de rappeler les réservistes pour augmenter les ressources humaines et déplacer les troupes dans des zones de rassemblement le long des frontières.
Le 26 juillet, le Royaume-Uni a proposé la tenue d’une conférence politique afin de trouver une solution à la dispute entre l’Autriche et la Serbie. L’Allemagne a refusé d’y participer. Deux jours plus tard, l’Autriche-Hongrie déclarait la guerre à la Serbie.
Le lendemain, Londres a demandé une médiation internationale. La Russie a pressé l’Allemagne de faire preuve de retenue, mais a elle-même commencé une mobilisation partielle. L’Allemagne a amorcé sa mobilisation.
Le 30 juillet, l’artillerie autrichienne a bombardé Belgrade, la capitale serbe. Le lendemain, la Russie a amorcé le processus de mobilisation complète. Le 1er août, l’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie et la France a commencé, à son tour, à mobiliser ses troupes.
Bien que l’Allemagne avait des ennemis sur chaque flanc, elle avait aussi une stratégie : résister aux Russes, à l’est, tout en lançant une attaque tous azimut à l’ouest pour écraser la France. Mais pour ce faire, l’Allemagne devait empiéter sur le territoire de la Belgique. Le 3 août, l’Allemagne a déclaré la guerre à la France, et envahi la Belgique.
À Londres, le cabinet était confronté à une terrible décision. Aller en guerre pour aider la France ou la Serbie aurait été difficile à vendre, politiquement parlant. Mais le faire pour défendre la Belgique, un pays neutre, et la parole d’honneur du Royaume-Uni était une toute autre histoire.
Le lendemain soir, un ultimatum britannique à l’Allemagne s’est écoulé sans réponse et le Royaume-Uni — de même que le Canada et le reste de l’empire — est entré en guerre.
Les quatre années qui ont suivi ont fait des millions de morts, incluant près de 60 000 Canadiens.
Note to readers: Ce texte est une version corrigée. Une version précédente racontait, de façon erronée, que la France avait perdu deux de ses territoires de l’ouest du pays lors d’un affrontement avec l’Allemagne, en 1870. En fait, il s’agissait de deux territoires de l’est du pays.