QUÉBEC – Le gouvernement du premier ministre Philippe Couillard a resserré l’accès des médias à ses ministres, une décision reçue jeudi par l’opposition comme un accroc à sa promesse de transparence.
Lors d’un point de presse, jeudi, avant la réunion quotidienne du caucus des parlementaires libéraux, M. Couillard a affirmé qu’il est important que ses ministres soient «briefés sur les sujets d’actualité» avant qu’ils répondent aux journalistes, ce qui limite l’accès que les médias avaient jusqu’ici.
Selon le premier ministre, qui a qualifié les journalistes de «bien susceptibles», jeudi, cette nouvelle procédure est nécessaire parce que «les matinées passent vite» lorsque les ministres arrivent à leur bureau.
«Il y a beaucoup de choses à faire pour les ministres quand ils arrivent le matin à leur bureau, on veut s’assurer que tout le monde s’entend sur les faits, qu’on a les faits réels avant de faire les commentaires, a-t-il dit. Sinon, vous allez continuer à parler aux ministres, ils vont être accessibles comme ils l’ont toujours été et je vous réponds que vous n’avez jamais eu de gouvernement aussi accessible que le nôtre.»
M. Couillard a rejeté tout rapprochement entre cette nouvelle consigne et les difficultés de son ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, qui s’est retrouvé au centre d’une controverse concernant les fouilles à nu dans les écoles.
«Il n’y a aucun lien si ce n’est le fait qu’on veut que le message gouvernemental soit informé sur les faits», a-t-il dit.
La leader parlementaire péquiste Agnès Maltais a affirmé jeudi que cette décision traduit la faiblesse de l’équipe de M. Couillard, qui avait textuellement promis durant la dernière campagne électorale «le gouvernement le plus transparent que les Québécois auront eu».
«Il fait totalement le contraire, encore une promesse brisée, très décevant, M. Couillard, a-t-elle dit. Il fait ça parce que ses ministres sont incapables actuellement d’affronter la situation. Regardez ce qui se passe avec Yves Bolduc, depuis trois jours c’est catastrophique comment il répond. (…) Son équipe est faible, il ne veut plus la laisser parler aux Québécois, il la cache.»
Depuis jeudi, les journalistes doivent maintenant solliciter les attachés de presse des ministres pour les avoir en entrevue avant leur sortie pour la période des questions, alors qu’auparavant ils pouvaient les aborder librement dans le corridor lorsqu’ils arrivaient un par un.
La consigne permet toutefois de les aborder librement lorsqu’ils se dirigent vers le Salon bleu, pour la période des questions, quand ils sortent en groupe.
Selon M. Couillard, l’accès aux ministres demeurera mais il a insisté sur l’importance qu’ils aient d’abord les informations requises pour répondre.
«Je n’ai jamais été aussi accessible et je pense que le gouvernement va continuer d’être accessible, a-t-il dit. C’est normal que les gens comprennent les faits, connaissent les faits avant de répondre à des questions sur des sujets d’actualité. Je pense que c’est le minimum requis, c’est un gouvernement, là.»
Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, a affirmé que la décision du gouvernement traduit la division au sein du groupe parlementaire libéral, sur des questions comme la lutte à l’intégrisme et le malaise provoqué par la réaction de M. Couillard à M. Bolduc.
«Quand M. Couillard dit qu’il n’est pas prêt à empêcher des radicaux de prêcher contre l’égalité entre les hommes et les femmes, je ne pense pas que tous les députés libéraux sont d’accord avec ça, a-t-il dit. Quand M. Couillard a refusé de dénoncer les propos de M. Bolduc, sur la fouille à nu, je sentais le malaise chez plusieurs députés.»
Le député péquiste Pierre Karl Péladeau, actionnaire de contrôle du conglomérat médiatique Québecor, a déploré la décision du gouvernement, faisant un rapprochement avec les stratégies déployées au parlement fédéral par les conservateurs pour contrôler le message du gouvernement de Stephen Harper.
«Bientôt peut-être qu’ils ne répondront plus non plus aux questions à la sortie, a-t-il dit. Ça commence à ressembler de plus en plus au gouvernement Harper. M. Couillard est un fervent fédéraliste, mais le fédéralisme a quelques vertus dont celui de la démocratie.»
M. Péladeau, candidat à la direction du Parti québécois, a toutefois refusé d’exclure la possibilité qu’il agisse de la même façon que les libéraux si jamais il devient premier ministre par la suite.
«C’est une question qui est très hypothétique, nous sommes actuellement dans une course à la direction du Parti québécois et nous aurons amplement le temps de répondre à vos questions», a-t-il dit.
La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) demande à Philippe Couillard de retirer cette directive et de laisser ses ministres parler librement aux journalistes.
«Une telle directive de communications gouvernementales nuit fortement à l’information du public, indique le groupe dans un communiqué. Ce contrôle, qui s’exprime par une centralisation des communications, n’existe pas pour assurer une information plus rigoureuse du public. Il semble plutôt viser à protéger à tout prix l’image du gouvernement.»
Par ailleurs, le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) a affirmé que la décision de M. Couillard annoncée jeudi est un nouvel exemple de «Harperisation» des communications qui se développe au gouvernement.
Selon le SPGQ, les agents de communications gouvernementaux, qui depuis l’automne dernier relèvent du ministère du premier ministre, ont reçu, en décembre dernier, la directive de rendre plus positif le message d’austérité du gouvernement.
«La centralisation des communications gouvernementales risque de transformer les communicateurs en instruments de propagande politique, a affirmé dans un communiqué le président du SPGQ, Richard Perron. La ligne du gouvernement pourrait désormais prévaloir sur une information neutre et impartiale. Dans une telle situation, ces employés n’auront d’autre choix que de sacrifier leur indépendance et leur éthique au profit de la ‘cassette’ qui leur est imposée et enfoncée dans la gorge.»