Mme Proulx admet que la notion de résidence n’était pas claire du temps de Duffy

OTTAWA – Pourquoi les dépenses de fonction du sénateur suspendu Mike Duffy lui ont-elles valu un procès au criminel alors que sa collègue conservatrice Carolyn Stewart Olsen n’a jamais été importunée ?

L’avocat de M. Duffy a en tout cas pris l’habitude de lâcher régulièrement le nom de la sénatrice, au détour d’une phrase, depuis le début du procès.

Mme Stewart Olsen, qui faisait partie de la garde rapprochée du premier ministre Stephen Harper avant d’être nommée au Sénat, était membre du très secret comité sénatorial qui a notamment examiné les dépenses de M. Duffy, et qui a ensuite collaboré avec le cabinet du premier ministre pour adoucir le ton du rapport final, en 2013.

Alors que s’amorçait la quatrième semaine d’audiences au procès du sénateur suspendu, lundi, l’avocat de M. Duffy a ramené le débat sur les frais de résidence secondaire, qui ont permis au sénateur Duffy de réclamer en quatre ans 90 000 $ d’indemnités de séjour pour sa résidence secondaire dans la région de la Capitale nationale. Pour ce faire, M. Duffy avait déclaré comme résidence principale une petite maison qu’il possédait à l’Île-du-Prince-Édouard.

Mike Duffy a plaidé non coupable à 31 chefs d’accusation de fraude, de corruption et d’abus de confiance relativement à des frais de déplacement et de logement qu’il s’était fait rembourser par le Sénat entre 2009 et 2012, notamment pour ses indemnités de séjour à Ottawa.

Avant d’être nommés au Sénat, M. Duffy et Mme Stewart Olsen étaient bien connus et installés à Ottawa — le premier à titre de courriériste parlementaire à CTV depuis des années, la deuxième comme attachée de presse et directrice des communications stratégiques au sein du cabinet du premier ministre Harper.

Selon les rapports de la direction des finances au Sénat, Mme Stewart Olsen, nommée à la chambre haute en 2009, a réclamé 11 507 $ en indemnités de séjour pour sa résidence d’Ottawa, avant qu’elle ne soit finalement vendue deux ans plus tard. Et ce rapport remonte seulement à 2010, un an après sa nomination.

Me Donald Bayne a ainsi voulu savoir lundi de Nicole Proulx, la haute fonctionnaire qui était jusqu’à tout récemment directrice des finances et de l’approvisionnement au Sénat, si Mme Stewart Olsen avait aussi réclamé des indemnités de séjour en 2009, dès sa nomination.

«Tout ce que je peux dire, c’est que si les sénateurs présentaient un formulaire (de demande) et indiquaient que leur résidence principale se trouvait à plus de 100 km (d’Ottawa), ce qui implique des frais de séjour additionnels (dans la capitale), et qu’ils présentaient les pièces justificatives appropriées, alors leur requête aurait été acceptée», a-t-elle indiqué.

Lorsque le scandale des dépenses des sénateurs a éclaté au grand jour en 2013, la sénatrice Stewart Olsen avait expliqué à La Presse Canadienne qu’elle souhaitait s’installer dans son Nouveau-Brunswick natal, mais qu’elle voulait d’abord apporter des modifications à sa maison d’Ottawa avant de la vendre.

M. Duffy a lui aussi procédé à des rénovations de sa petite maison à Cavendish, dans l’Île-du-Prince-Édouard — il soutient y avoir investi 100 000 $ au cours des ans.

Des courriels internes indiquent que Mme Stewart Olsen a oeuvré de concert avec le cabinet du premier ministre pour que le rapport final d’un comité sénatorial sur les dépenses du collègue Duffy soit expurgé.

«Salut Nigel, un petit mot pour te dire que je suis toujours partante pour faire exactement ce qui m’est demandé, mais ça aurait été très utile de connaître à l’avance votre stratégie», a-t-elle écrit au début de 2013 dans un courriel à Nigel Wright, alors chef de cabinet du premier ministre Harper.

Le comité sénatorial chargé d’examiner les dépenses des sénateurs avait reçu du cabinet de vérificateurs Deloitte un rapport qui concluait notamment que la notion de résidence principale ou secondaire n’était pas définie par des règles ou des critères précis. Par conséquent, les vérificateurs externes ne pouvaient tirer de conclusions sur l’admissibilité des dépenses du sénateur Duffy.

Interrogée là-dessus par Me Bayne, lundi, Mme Proulx a admis qu’elle était d’accord avec le cabinet Deloitte.

L’une des thèses de la défense au procès est que M. Duffy s’est simplement soumis aux règles qui existaient à l’époque au Sénat, mais que ces règles étaient alors imprécises.

M. Duffy soutient aussi qu’il a ensuite accepté de rembourser 90 000 $ à la suite de pressions du cabinet du premier ministre et de sénateurs conservateurs influents — dont Mme Stewart Olsen. C’est finalement Nigel Wright qui a remis secrètement un chèque de 90 000 $ à M. Duffy afin de rembourser le Sénat.