«Rafle des années 1960»: Ottawa veut négocier et demande à un juge «d’attendre»

TORONTO – Dans un geste de dernière minute — et exceptionnel —, le gouvernement fédéral a demandé à un juge de la Cour supérieure de l’Ontario de reporter sa décision dans une action collective sur «la rafle des années 1960», dans l’espoir de conclure in extremis une entente à l’amiable avec des milliers d’Autochtones.

Les plaignants ont dénoncé mercredi cette «ingérence sans précédent» et «indécente» du politique dans le système judiciaire.

Quelque 16 000 Autochtones de l’Ontario ont intenté une action collective contre le gouvernement fédéral, qui avait orchestré pendant une vingtaine d’années une vaste opération visant à enlever de leur famille des enfants autochtones dits «à risque» pour les confier à des familles d’adoption allochtones, de 1965 à 1984. Les plaignants réclament d’Ottawa 1,3 milliard $ en dommages pour «perte d’identité culturelle». Après huit ans de batailles judiciaires, le juge Edward Belobaba doit rendre sa décision mercredi prochain.

Or, le gouvernement fédéral, qui s’est défendu bec et ongles pendant toute cette affaire, a demandé cette semaine au juge ontarien de reporter sa décision, le temps d’amorcer des négociations à l’amiable avec les Autochtones de tout le pays. Des poursuites similaires ont été intentées dans d’autres provinces, mais les procédures ne sont pas aussi avancées qu’en Ontario. Par contre, les plaignants ontariens, excédés de la lenteur des procédures dans ce dossier, refusent de négocier maintenant une entente à l’amiable et attendent impatiemment la décision du juge Belobaba.

L’avocat du ministère fédéral de la Justice a aussi écrit au juge que si de telles négociations devaient échouer, le gouvernement était prêt à déposer une requête devant les tribunaux pour contester éventuellement la décision de la Cour supérieure.

L’un des avocats des plaignants, Morris Cooper, a alors écrit au juge Belobaba pour lui rappeler que «cette requête sans précédent et unilatérale» d’Ottawa constitue un geste «effronté, imprudent et indécent».

«Nous avons vécu huit ans de litiges et d’appels, la plupart du temps sur des questions de procédures, et nous avons attendu plus d’un an avant d’obtenir enfin un premier jugement sur le bien-fondé de cette revendication», a écrit Me Cooper dans un courriel au juge. «Les personnes inscrites à l’action collective et les victimes de la « rafle des années 1960 » méritent d’obtenir un jugement.»

Le juge Belobaba, lui, n’a pas semblé pressé de modifier son calendrier. «Il va sans dire qu’en temps normal, et en l’absence de consentement des deux parties, la décision (du tribunal) doit être rendue au jour dit», a écrit le magistrat à tous les intervenants.

Aucunement démonté, le procureur fédéral Barney Brucker a écrit de nouveau au juge Belobaba, mercredi, en plaidant qu’il serait dans l’intérêt de toutes les parties de reporter sa décision. Le magistrat a répondu qu’il avait bien l’intention, pour l’instant, de rendre jugement comme prévu le 15 février, mais que le procureur fédéral pouvait toujours déposer une requête écrite afin de demander un report.

«À ma connaissance, aucun défendeur n’a réussi jusqu’ici à faire reporter la publication d’un jugement grâce à une telle requête, mais je garde l’esprit ouvert», a écrit le juge Belobaba. Le magistrat promet que si Ottawa déposait une telle requête, il se prononcerait d’ici le début de la semaine prochaine — avant la date prévue de son jugement, mercredi.

La ministre des Affaires autochtones, Carolyn Bennett, a indiqué dans un communiqué mercredi que son gouvernement souhaitait régler cette affaire à l’extérieur des palais de justice, en négociant de bonne foi avec les victimes pour réparer ces «torts historiques».