Relations Canada—É.-U.: l’ère Biden offre un nouveau départ, avec les mêmes défis

WASHINGTON — Si Donald Trump a quoi que ce soit en commun avec le Canada, c’est peut-être ceci: un désir presque pathologique d’attirer l’attention du peuple américain.

Tous deux pourraient être en manque au cours de la prochaine année.

Le président sortant avait le don de nourrir le besoin typiquement canadien de reconnaissance venant du sud de la frontière, à s’en rendre souvent malade.

Donald Trump a caractérisé le Canada comme une menace à la sécurité nationale, comme un péril pour les agriculteurs et les fabricants américains et même comme un endroit indigne de recevoir l’équipement de protection individuelle produit aux États-Unis en temps de pandémie.

Il a décrit le «très malhonnête et faible» premier ministre Justin Trudeau comme un «hypocrite» et il a admis ne pas aimer l’ex-ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland qui, selon lui, «déteste l’Amérique».

L’ère Joe Biden sera ennuyeuse en comparaison — et ce n’est pas une si mauvaise chose, selon Roy Norton, un ancien diplomate de haut rang qui a été affecté à l’ambassade canadienne aux États-Unis dans les années 1990 et 2000.

«À Washington, je trouvais qu’il était généralement préférable de passer sous le radar plutôt que d’être sur le radar», affirme M. Norton, qui est maintenant diplomate en résidence à l’École d’affaires internationales de Balsillie à Waterloo, en Ontario. «Quand on l’est, on est la cible, et les gens nous tirent dessus. C’est certainement ce que Trump a fait.»

Eric Miller, président de la firme Rideau Potomac et expert des relations canado-américaines, y va d’une autre métaphore: «Certains pensent que tout ça aura été comme »Alice au pays des merveilles », où on va se réveiller et ce n’aura été qu’un rêve effrayant.»

«Mais en fait, le monde a considérablement changé au cours des quatre dernières années, alors l’administration Biden va en bonne partie se concentrer sur la gestion du problème immédiat», croit M. Miller.

Interrompre la dégringolade économique causée par la pandémie sera sa première mission, ce qui signifie que les priorités canadiennes devront peut-être passer au second plan, surtout si elles sont perçues comme allant à l’encontre de celles des États-Unis.

Le mépris persistant de la mondialisation, la méfiance à l’égard des accords commerciaux multilatéraux et un fort sentiment protectionniste — plus de 74 millions d’Américains ont voté pour Donald Trump, après tout — pourraient s’avérer assez libérateurs pour le Canada, avance M. Miller.

Il se souvient d’une plaisanterie à saveur politique lancée il y a quelques années selon laquelle le Canada ressemble à une jeune fille qui se morfond dans sa chambre en se demandant: «Quand va-t-il m’appeler?»

«Mais cette attitude a changé, constate M. Miller. Je pense que le Canada sera plus à même de forger sa propre voie et d’être moins dépendant de l’attention des États-Unis pour confirmer à quel point nous réussissons ou non en tant que pays.»

Des irritants qui vont persister

Même si la plupart des observateurs s’attendent à une approche plus diplomatique et digne en matière d’affaires étrangères, une foule d’irritants vont persister. Mais la relation entre les deux pays ne se résume pas à des points de friction, relève M. Norton. Le départ de Donald Trump présente selon lui l’occasion de revenir sur certains des thèmes plus larges qui la définissaient auparavant.

«On ne se rend pas service en pensant à la relation entre le Canada et les États-Unis de manière étroite, en termes de relation bilatérale, avec Keystone XL et les tarifs sur le bois d’oeuvre et l’article 232, etc.»

«Ce qui est le plus important pour nous, ce sont les règles internationales. C’est un système multilatéral fonctionnel, ce sont les États-Unis et d’autres superpuissances et soi-disant superpuissances qui adhèrent aux normes de comportement fixées collectivement par le monde.»

Les questions à l’ordre du jour resteront néanmoins familières.

L’équipe de Joe Biden s’est engagée à révoquer l’approbation du projet d’expansion de l’oléoduc Keystone XL. Il a présenté une stratégie «Buy American» détaillée pour la reprise économique du pays, avec un bureau de la Maison-Blanche dont le mandat sera de s’assurer que les entreprises et travailleurs américains soient les premiers à en récolter les fruits.

L’administration Biden héritera également d’un litige entre les producteurs laitiers américains et canadiens ayant toutes les caractéristiques d’un conflit commercial qui pourrait rivaliser avec celui du bois d’oeuvre.

Et il a nommé dans son cabinet des membres dont les antécédents suggèrent qu’ils n’auront pas peur de se battre.

John Kerry, le représentant en matière de changement climatique retenu par M. Biden, était secrétaire d’État lorsqu’il a convaincu le président Barack Obama de rejeter Keystone XL en 2015.

Tom Vilsack, le futur secrétaire à l’Agriculture, a applaudi plus tôt ce mois-ci la décision du représentant américain au Commerce Robert Lighthizer d’accuser officiellement le Canada de refuser l’accès à ses marchés aux producteurs laitiers américains.

Et Katherine Tai, nommée successeure de M. Lighthizer, est largement considérée comme une négociatrice intransigeante qui aura pour mission de faire appliquer les accords commerciaux existants et les dispositions de la loi «Buy American».

Plus tôt ce mois-ci, les États-Unis ont eu recours à la toute première mesure d’application de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique au sujet de l’accès aux marchés laitiers canadiens, suivie quelques jours plus tard d’une plainte canadienne similaire concernant les tarifs américains sur les exportations de bois d’oeuvre.

Il reviendra à l’équipe de Joe Biden de naviguer à travers tout cela, en sachant qu’il faudra faire passer les intérêts américains avant tout pour combler le fossé politique et culturel aux États-Unis après une campagne électorale acrimonieuse.