MONTRÉAL — Québec fait marche arrière et ne veut pas permettre l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de graves problèmes de santé mentale pour le moment. Le tout est suspendu, le temps d’une consultation, qui sera par ailleurs plus poussée.
La ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, en a fait l’annonce, lundi matin, avant l’ouverture du Forum national sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, qui se tient à Montréal toute la journée.
«On a décidé de prendre une pause par rapport à la situation des gens qui ont un problème de santé mentale par rapport à l’accès à l’aide médicale à mourir. Donc, au 12 mars, on a demandé au Collège des médecins de surseoir et de ne pas donner l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de problématiques de santé mentale sévères et persistants avec les autres critères de la loi. On va d’abord continuer nos consultations de la population», a annoncé la ministre McCann.
Le 12 mars est la date à laquelle le critère d’être «en fin de vie» ne sera plus nécessaire pour avoir accès à l’aide médicale à mourir — ce qui ouvre la porte aux personnes ayant des problèmes de santé mentale.
Québec a décidé de ne pas porter en appel le jugement rendu dans la cause «Truchon et Gladu», qui avait rendu inopérant le critère de fin de vie, prévu à la Loi concernant les soins de fin de vie, comme condition d’admissibilité à l’aide médicale à mourir.
Il faut d’abord poursuivre la consultation et obtenir un véritable consensus social, afin que les citoyens se sentent en confiance et à l’aise avec les choix qui seront faits, a insisté la ministre McCann
«Ce sursis et cette période de réflexion vont prendre fin seulement au moment où un consensus clair et général va se dégager au sein de la population et des experts consultés. Donc, nous allons prendre tout le temps nécessaire pour arriver à ce consensus», a indiqué la ministre McCann, dans son allocution devant les 200 participants au forum.
Faut clarifier, dit Hivon
La députée péquiste Véronique Hivon, qui a longtemps porté ce dossier, soulève une incertitude qui persiste, car bien que la ministre fasse une demande verbale au Collège des médecins de ne pas permettre l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de graves problèmes de santé mentale, le temps que la consultation à ce sujet soit menée à bien, rien n’est écrit dans un texte de loi à ce sujet.
«La problématique avec la situation actuelle, s’il n’y a pas de geste posé par le gouvernement d’une nature juridique, c’est que la possibilité a été ouverte par le choix du gouvernement de ni légiférer ni demander un sursis. Alors théoriquement, bien que la ministre dise qu’elle ne le souhaite pas, une personne atteinte de maladie mentale pourrait faire une demande à un médecin» pour obtenir de l’aide médicale à mourir, a conclu la députée péquiste.
«Il reste à clarifier comment la ministre va refermer juridiquement la porte qui a été ouverte, mardi dernier, par le choix de ne pas faire d’intervention législative ni de demander de sursis», a-t-elle ajouté.
Québec aurait pu refermer cette porte en demandant un sursis au tribunal, le temps d’ajuster la législation, ou de modifier la loi. Mais il a choisi de ne pas modifier la loi et d’enlever simplement le critère d’être «en fin de vie».
Statistiques
Durant le forum, le docteur Michel A. Bureau, président de la Commission sur les soins de fin de vie, a rapporté qu’environ 4000 personnes au Québec ont reçu de l’aide médicale à mourir depuis le 10 décembre 2015 — date à laquelle la loi est entrée en vigueur.
Le nombre va croissant d’année en année, maintenant que la loi est mieux connue. Il s’attend à un plateau de 2500 par année.
Il y a plus ou moins 68 000 décès au Québec par année et, de ce nombre, 33 pour cent sont causés par des cancers, a relaté le docteur Bureau.
Les gens qui ont le cancer sont les plus nombreux à demander l’aide médicale à mourir, soit 1250 personnes sur 33 000 personnes qui sont décédées de cancer, cette année-là, a-t-il précisé.
«C’est la souffrance qui commande l’aide médicale à mourir, pas la maladie», a conclu le docteur Bureau.
Me Ménard
De son côté, l’avocat spécialisé dans les questions médicales Jean-Pierre Ménard s’est réjoui du prolongement de la consultation annoncé par la ministre.
«Consulter le temps qu’il faudra, ça c’est souhaitable; on ne consultera jamais trop dans ce domaine-là. Mais il ne faut pas non plus que la consultation serve à noyer le poisson», a-t-il opiné.
Me Ménard fait valoir que de toute façon, chaque demande d’aide est évaluée sur une base individuelle et qu’il existe déjà des cas où il y a des maladies mentale et physique concomitantes.