Thelma porte «la marque du courage»

MONTRÉAL — Thelma est une petite fille courageuse, et elle a les cicatrices pour le prouver.

Opérée deux fois à coeur ouvert pour une cardiopathie congénitale complexe et victime d’un accident vasculaire cérébral, l’avenir s’annonçait sombre pour celle qui a célébré son septième anniversaire au cours des derniers jours.

«C’est un bébé qui ne bougeait pas. Jusqu’à l’âge de deux ans, elle cumulait des retards au niveau du développement, a confié en entrevue sa maman, Linda Ounis. Et de voir qu’aujourd’hui elle a appris à faire du vélo sans les petites roues plus vite que sa grande soeur…»

Ces progrès, Mme Ounis les attribue sans hésiter à la Clinique d’investigation neurocardiaque (CINC) interdisciplinaire du CHU Sainte-Justine, la seule en son genre au Canada.

Fondée en 2013 par les docteurs Nancy Poirier, sa directrice actuelle, et Lionel Carmant, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, la CINC regroupe des professionnels de multiples horizons — chirurgie cardiaque, neurologie, physiothérapie, ergothérapie, neuropsychologie, orthophonie, nutrition, soins infirmiers.

La CINC propose un programme d’évaluations interdisciplinaires systématiques et d’interventions individualisées chez tous les nourrissons avec cardiopathie congénitale complexe, et ce dès l’âge de quatre mois.

«On voulait démontrer que (…) ce genre de suivi-là permettait une amélioration au niveau du neurodéveloppement, a expliqué la professeure Anne Gallagher, dont l’équipe s’est récemment affairée à mesurer l’impact de ces interventions.

«Oui les enfants ont un problème au coeur, mais avec les années (…) on s’est rendus compte que cette anomalie-là et tous les traitements qui viennent avec et les chirurgies causent des retards au niveau du développement cérébral qui peuvent après ça causer des difficultés neurodéveloppementales.»

Et c’est le sort que la vie aurait très bien pu réserver à Thelma.

La marque du courage

Mme Ounis a été informée bien avant la naissance de son bébé que le foetus qu’elle portait présentait des anomalies cardiaques, au point où on lui a même demandé si elle souhaitait interrompre sa grossesse.

«On ne vit pas une grossesse normale,a-t-elle dit. Tout ce qu’on vit, c’est dans la crainte pour son enfant.»

Opérée une première fois pendant 18 heures à l’âge de cinq mois, puis pendant six heures à l’âge de deux ans, Thelma est aujourd’hui une petite fille enjouée, qui adore danser et qui est dotée de «tout un caractère, avec tout ce qu’elle vécu», a dit sa maman.

Les cicatrices laissées par toutes ces chirurgies ne s’effaceront jamais, mais Thelma, même si elle doit parfois expliquer à ses amis ce qui lui est arrivé, ne s’en inquiète pas plus qu’il faut.

«Elle me dit tout le temps, ‘tu sais moi maman, je suis courageuse, et avec que j’ai vécu, j’ai la marque du courage’», a confié Mme Ounis.

Étude probante

Les cardiopathies congénitales représentent le type de malformation congénitale le plus fréquent, affectant jusqu’à 1 % des naissances vivantes. Environ le quart des bébés sera atteint de la forme «complexe» ou «sévère».

Les progrès incessants de la médecine signifient que les enfants qui en sont atteints survivent aujourd’hui plus longtemps que jamais.

On a donc réalisé, au fil des ans, qu’ils étaient nombreux à présenter, par exemple, des retards de langage, des retards moteurs ou des difficultés sociales dont la sévérité variera de légère à sévère.

«Les enfants qui naissent avec une cardiopathie congénitale complexe, on va souvent dire qu’ils naissent avec un cerveau qui ressemble au cerveau d’un grand prématuré, a illustré Mme Gallagher. Le cerveau est moins mature, même si (le bébé) est né à terme, donc ça fait des anomalies structurelles et fonctionnelles cérébrales.»

Les travaux de Mme Gallagher et de sa collègue Marie-Noëlle Simard, et dont les conclusions sont publiées par le journal médical Frontiers in Pediatrics, visaient donc à mesurer l’impact de la clinique sur le neurodéveloppement des enfants.

«Est-ce qu’à trois ans et demi ces enfants-là vont mieux sur le plan du langage, de la motricité, toutes des choses qu’on sait fragiles chez ces enfants-là», a indiqué Mme Gallagher.

Les chercheurs ont recruté 80 enfants âgés de 3 ans et demi atteints de cardiopathie congénitale complexe. La moitié était suivie à la CINC et l’autre moitié, née avant la mise en place de la clinique, avait reçu des soins de santé standards.

L’étude a permis de constater que les enfants suivis à la clinique avaient un langage réceptif (comprendre les mots, les concepts, les questions, les consignes) meilleur que les enfants qui n’avaient pas eu un suivi systématique et qui avaient eu les soins standards.

«On sait que le langage réceptif est très fragile chez les enfants qui ont une cardiopathie congénitale complexe, a dit Mme Gallagher. D’autres semblent avoir de meilleures habiletés visiospatiales; pour les tout-petits, c’est faire des casse-têtes ou faire des constructions avec des blocs.»

Les résultats sont encourageants parce qu’on voit que le suivi peut aider, a-t-elle ajouté, «mais ça reste que c’est encore subtil».

Il y a aussi le fait que leurs petits sujets sont encore bien jeunes, à trois ans et demi, ce qui limite ce que l’on peut mesurer et évaluer. Les chercheurs poursuivront maintenant leurs travaux pour voir comment ils s’en tireront à l’école, dans quelques années.

Rassurant

Thelma, elle, est déjà en première année, et tout va bien, à part peut-être quelques petits problèmes de mémoire.

«Vous la verriez aujourd’hui, vous diriez que ce n’est pas possible, a dit Mme Ounis. Si je n’avais pas eu tous ces services-là en prévention, ma fille aujourd’hui aurait beaucoup plus de difficultés et je serais beaucoup plus consommatrice de services.»

Elle souligne à grands traits le dévouement du personnel de la clinique, qui n’a jamais cessé de prendre soin de Thelma, de se préoccuper d’elle et de lui trouver les ressources dont elle avait besoin.

«D’avoir une équipe avec qui partager ses inquiétudes, qui nous comprend, qui nous encourage, c’est vraiment précieux», a-t-elle dit.

Et aujourd’hui, c’est au tour de Thelma de rassurer ceux qui, au fil des ans, se sont si bien occupés d’elle.

«Quand on voit sa cardiologue, ma fille lui dit, ‘non, non docteure, il ne faut pas vous en faire, tout va bien, on n’est pas obligés de se revoir’», a confié Mme Ounis en riant.