QUÉBEC — Journée difficile pour les élus caquistes de la région de Québec et de Chaudière-Appalaches. L’abandon du troisième lien autoroutier a provoqué de vives réactions chez les défenseurs du projet.
Au bord des larmes, le ministre Bernard Drainville a présenté ses excuses aux gens de Lévis et de Chaudière-Appalaches. «Je comprends leur déception et leur colère. L’engagement que j’ai pris était sincère. J’ai sincèrement cru que le trafic de malade qu’on avait l’été passé était la nouvelle normalité», s’est-il justifié jeudi à l’Assemblée nationale.
M. Drainville a dit qu’il n’a pas pensé démissionner. Il avait défendu avec énergie le projet du troisième lien lors des précédentes élections. «Lâchez-moi avec les GES», avait-il lancé alors pour répondre à l’argument voulant que le projet ne soit pas écologique.
«Je continue de croire qu’il y aura un jour un lien autoroutier. Ça, c’est sûr», a-t-il assuré.
Jeudi matin, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a confirmé ce qui avait fuité dans les médias mardi: la pandémie et le télétravail ont fait diminuer l’achalandage entre Québec et Lévis. Le gouvernement abandonne donc l’idée d’un troisième lien autoroutier entre les deux rives, pour plutôt proposer un tunnel consacré uniquement au transport en commun.
Le ministre Éric Caire, qui avait promis de démissionner si le projet ne se concrétisait pas, compte finalement rester en poste. «Je vais aller à la rencontre des citoyens et je vais leur expliquer la décision. Je fais confiance à leur jugement (…) Je peux comprendre que les gens se sentent trahis», a-t-il expliqué.
La ministre Martine Biron s’est dite «blessée» par ce changement de cap. «Quand je me suis présentée en politique, je savais qu’il y aurait des jours plus difficile que d’autres. Je ne m’attendais pas à ce que ça vienne aussi vite et que ce soit aussi brutal», a-t-elle affirmé.
«Je n’avais pas d’étude sous les yeux quand on a défendu le troisième lien. On les attendait les études», a ajouté Mme Biron.
La ministre Guilbault a d’ailleurs reconnu qu’il y a des mécontents dans le groupe parlementaire caquiste, parmi les députés de la grande région de la capitale. «Prendre des décisions difficiles, ça amène de la déception et de la tristesse. Certains collègues sur les 15 (élus de la région) sont touchés. (…) J’ai des collègues qui sont très affectés.»
«Je comprends qu’il y a des gens qui soient déçus, parce que les infrastructures actuelles ne sont pas idéales. Mais j’ai une responsabilité. Je gère les fonds des Québécois», a affirmé le premier ministre, François Legault.
Lévis se sent «trahie»
Le maire de Lévis Gilles Lehouillier a été vitriolique envers la décision du gouvernement. «Je suis sidéré (…) Cette décision me laisse avec le sentiment que notre gouvernement a abandonné nos régions», a-t-il lancé en point de presse jeudi après-midi.
Il affirme que sa population se sent «trahie» et qu’il n’a aucune confiance que le projet va se réaliser un jour. «Ça ne m’intéresse même plus de mettre de l’énergie dans ce projet-là. Le gouvernement a perdu toute crédibilité», a affirmé M. Lehouillier.
Le maire de Lévis croit que bien des députés et ministres de la Coalition avenir Québec ont appris le changement de direction comme lui, lundi. Il demande aux élus de la région de se tenir debout. «Ça veut dire se battre pour ce pour quoi on a été élu et non pas jeter les gants avant que la game soit finie.»
Gilles Lehouillier attendait avec impatience les nouvelles études sur l’achalandage entre Québec et Lévis.
«Il faut qu’on franchisse ce pas»
Geneviève Guilbault, a expliqué jeudi le recul du gouvernement Legault sur son engagement phare de construire un troisième lien autoroutier. Selon des données du ministère des Transports, il y avait en moyenne 107 000 véhicules par jour qui empruntaient le pont Pierre-Laporte en 2022 comparativement à 126 000 en 2019. Pour le pont de Québec, c’était 31 000 véhicules par jour en 2022 en comparaison avec 33 000 en 2019.
La ministre a appelé la région à franchir le pas du transport en commun structurant si elle veut rayonner comme une métropole.
La ministre n’a toutefois pas pu dire si ce sera un tramway ou des autobus dans ce tunnel. Mais elle a avoué que le choix du transport en commun permet au projet de se qualifier pour le financement fédéral, éventuellement à 40 % de la facture. Elle n’a toutefois pas pu donner une estimation des coûts pour la nouvelle mouture du troisième lien, car il reste trop d’éléments à déterminer.
Mme Guilbault a affirmé que les coûts de la précédente version du projet oscillaient autour de 10 milliards $. «Ce projet-là a été nécessaire à une certaine époque, mais la pandémie a tellement modifié nos vies qu’en ce moment, il n’y a pas de nécessité à avoir un tunnel autoroutier», a expliqué Mme Guilbault en conférence de presse à l’Assemblée nationale.
Les études démontraient par ailleurs qu’«en ayant un transport collectif vraiment efficace (entre les deux rives), on cannibalisait le transport routier», c’est-à-dire qu’on réduisait d’autant plus la circulation routière, a-t-elle poursuivi.
Peu importe les destinations dans la région, «l’avantage est plus élevé pour le transport collectif que pour le transport routier» dans les temps de déplacement.
Consciente de la déception des électeurs de la rive sud, de Lévis et de Chaudière-Appalaches, qui voulaient ce troisième lien routier, elle leur a dit qu’il fallait passer à autre chose si la région veut prétendre à devenir une métropole.
«Il faut un jour qu’on franchisse ce pas. Tu ne peux pas prétendre être une nouvelle zone économique métropolitaine, attirer des investissements et des étudiants étrangers, des nouvelles entreprises, (sans franchir ce pas). Si on veut rivaliser avec d’autres grandes villes, faut qu’on franchisse ce pas de la vraie mobilité durable attrayante.»
Positif du côté fédéral
Le ministre fédéral de l’environnement, Steven Guilbeault, voit positivement ce changement de direction.
«Nous avons dit à plusieurs reprises, c’est que le gouvernement fédéral n’avait plus de fonds pour investir dans de nouvelles infrastructures routières, mais qu’il y a certainement beaucoup de fonds pour des investissements en transport collectif. Alors, de ce point de vue là, je pense qu’on ne peut que saluer cette décision», a-t-il affirmé, ajoutant que le gouvernement du Québec n’avait toujours pas déposé de plan détaillé du projet.
M. Guilbeault a déjà dit que la précédente mouture du projet de troisième lien était «incompatible» avec la lutte contre les changements climatiques.