QUÉBEC — Dans une salle de cour où les émotions étaient à fleur de peau, Alexandre Bissonnette a demandé pardon pour avoir ouvert le feu dans la Grande Mosquée de Québec en janvier 2017, tuant six hommes et faisant plusieurs blessés. Ni terroriste ni islamophobe, il était plutôt une personne qui a été «emportée par la peur et une forme horrible de désespoir», a-t-il déclaré mercredi, pendant que les veuves des victimes sanglotaient.
Bissonnette a finalement plaidé coupable aux six accusations de meurtre au premier degré et aux six chefs de tentatives de meurtre avec une arme à feu à autorisation restreinte.
Cette décision en a surpris plusieurs, dont le juge du procès, car Bissonnette avait d’abord enregistré lundi matin 12 plaidoyers de non-culpabilité.
Ce changement de cap de dernière minute fait en sorte qu’il n’y aura pas de procès.
Et il est lourd de conséquences: le jeune homme de 28 ans est passible d’une peine de 150 ans de prison.
Alexandre Bissonnette a tenu à lire mercredi en cour une déclaration qu’il avait écrite au préalable.
«À chaque minute de mon existence je regrette amèrement ce que j’ai fait, les vies que j’ai détruites, la peine et la douleur immense que j’ai causées à tant de personnes, sans oublier les membres de ma propre famille, a-t-il lu. J’ai honte. Honte de ce que j’ai fait.»
D’un ton calme et posé, il a dit ne pas savoir pourquoi il a ouvert le feu dans un centre de culte musulman et même avoir de la difficulté à croire l’avoir fait.
«Malgré ce qui a été dit à mon sujet, je ne suis ni un terroriste, ni un islamophobe.
«Plutôt, je suis une personne qui a été emportée par la peur, la pensée négative et par une forme horrible de désespoir», a-t-il ajouté.
L’homme aux traits juvéniles mais à l’air grave qui le fait paraître plus vieux a dit qu’il avait des pensées suicidaires depuis un bon moment et était obsédé par la mort. «C’est comme si je me battais avec un démon qui a fini par m’avoir», a-t-il ajouté.
«J’aimerais vous demander pardon pour ce que j’ai fait, mais je sais que mon geste est impardonnable», a-t-il conclu, en jetant un bref coup d’oeil vers les gens présents dans la salle. Une femme a laissé échapper un cri.
Le juge François Huot, de la Cour supérieure, a entériné mercredi matin les plaidoyers de culpabilité enregistrés par l’accusé lundi.
Il a prononcé le mot «coupable» 12 fois, en autant de salves le condamnant.
De nombreuses personnes dans la salle de cour ont alors éclaté en sanglots. La tension était palpable: plusieurs femmes de la communauté musulmane pleuraient et d’autres écoutaient le juge d’un air tendu et crispé. Les gens se tenaient la main et essuyaient leurs larmes. Une femme semblait prier, les yeux fermés.
Alexandre Bissonnette a écouté le juge en gardant la tête baissée. Il a aussi essuyé des larmes.
Les six veuves des hommes abattus le 29 janvier 2017 étaient dans la salle. Elles ont quitté le palais de justice sans vouloir parler aux journalistes. Les parents de Bissonnette ont aussi assisté à l’audience.
Les réactions
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) s’est dit satisfait du résultat.
«Nous souhaitons de tout coeur que la culpabilité d’Alexandre Bissonnette permette aux survivants d’assouvir leur soif de justice et d’apaiser leurs souffrances», a déclaré devant les journalistes Me Thomas Jacques, le procureur de la Couronne.
Il a aussi insisté sur le fait qu’il n’y a eu aucune entente sur la peine.
Me Jacques promet d’ailleurs d’en réclamer une qui reflétera l’ampleur des «crimes odieux» commis.
Le procureur d’Alexandre Bissonnette, Me Charles-Olivier Gosselin, a indiqué que son client était «un jeune homme troublé» et qu’il allait présenter, dans le cadre des représentations sur la peine — qui auront lieu à partir du 10 avril — une preuve détaillée sur son état de santé et son potentiel de réhabilitation.
Changement de plaidoyer
Le coup de théâtre s’était produit lundi. Les plaidoyers de non-culpabilité avaient été enregistrés vers 9 h 30, mais en après-midi, Alexandre Bissonnette avait fait savoir qu’il allait plutôt plaider coupable.
«Dans mon coeur, c’est la décision que je voulais prendre pour éviter un procès et éviter que les victimes revivent encore cette tragédie», avait-il déclaré pour expliquer sa décision.
Ce revirement à 180 degrés s’était produit en quelques heures à peine.
Alexandre Bissonnette avait déclaré lundi dans la salle de cour qu’il songeait à plaider coupable depuis un certain temps, mais qu’il manquait des éléments de preuve dans son dossier, que la Couronne a transmis dimanche après-midi — un rapport d’expert, a précisé son avocat mercredi.
Le juge Huot avait toutefois refusé d’accepter immédiatement les plaidoyers de culpabilité. Il avait plutôt ordonné que l’accusé soit évalué par un psychiatre pour s’assurer qu’il comprenait bien les conséquences graves de sa décision.
Si tout cela n’a pas été rapporté avant mercredi, c’est parce que le juge Huot avait prononcé une ordonnance de non-publication qui interdisait aux médias de le faire avant.
Selon le psychiatre Sylvain Faucher qui a témoigné mercredi, Alexandre Bissonnette «est apte à subir son procès et à plaider ce qu’il veut plaider».
«Il ne voulait pas être l’auteur d’un autre drame collectif», a rapporté le docteur Faucher, qui a rencontré le jeune homme lundi soir.
Après avoir pris connaissance de ses conclusions, le juge a entériné les plaidoyers de culpabilité.
Les questions du juge à l’accusé
Mais lundi, surpris devant ce revirement de situation, le juge Huot avait fait venir Alexandre Bissonnette à la barre des témoins — à deux reprises — pour lui poser de nombreuses questions.
Le magistrat avait expliqué qu’il voulait être sûr que les plaidoyers soient valides et qu’ils ne soient pas remis en question plus tard.
Histoire de s’assurer qu’il n’y aurait pas un procès dans le futur, une possibilité «angoissante» qu’il voulait éviter aux victimes et à leurs familles, a-t-il dit. Il avait précisé ne pas vouloir prendre de chance puisque les avocats de Bissonnette avaient soulevé la possibilité d’une défense fondée sur son état mental.
«Vous êtes pleinement conscient de votre décision?», lui avait demandé lundi le juge Huot.
«Oui», avait répondu l’accusé.
Bissonnette avait dit comprendre que ce plaidoyer était une reconnaissance de sa part qu’il avait l’intention de tuer toutes les personnes nommées à l’acte d’accusation, soit 40 personnes. En plus des six chefs de meurtre, il a été accusé de cinq chefs de tentative de meurtre pour les blessés et d’un autre chef de tentative de meurtre pour toutes les personnes présentes à la mosquée ce jour-là — dont quatre enfants — bien qu’elles n’aient pas été atteintes par les balles.
Le juge lui avait aussi demandé s’il comprenait qu’il pouvait écoper de peines de prison consécutives, qui peuvent faire en sorte que l’emprisonnement total soit de 150 ans — 25 ans pour chacun des six meurtres.
«Je le sais», avait répondu l’accusé d’une petite voix.