VANCOUVER — Un ancien ministre de l’Environnement libéral exhorte le gouvernement Trudeau à rejeter le projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, arguant que celui-ci ne repose sur aucun fondement économique.
David Anderson, qui a été ministre de Jean Chrétien et de Paul Martin, a écrit une lettre à six ministres du gouvernement Trudeau pour leur demander de rejeter le projet.
«Il n’existe aucune preuve crédible démontrant que l’Asie est susceptible d’être un marché fiable ou important pour le bitume albertain», écrit M. Anderson dans sa lettre datée du 11 juin.
Le conseil des ministres devrait annoncer sa décision au sujet de l’expansion de l’oléoduc d’ici mardi. Comme le gouvernement Trudeau a payé 4,5 milliards $ pour acquérir Trans Mountain, on s’attend à ce qu’il donne le feu vert au projet.
Diplômé en droit, M. Anderson a été ministre responsable de la Colombie-Britannique pendant huit années. Quand il était ministre de l’Environnement, le Canada a ratifié en 2002 le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques. Aujourd’hui, il est directeur honoraire d’un organisme juridico-environnemental, West Coast Environmental Law. Il s’est déjà prononcé contre le projet Trans Mountain.
Sa lettre n’est pas un salmigondis récapitulant les impacts environnementaux et climatiques du projet. M. Anderson a préféré se pencher sur ses aspects économiques. Selon lui, l’expansion de Trans Mountain naît du «besoin perçu d’un oléoduc se rendant à l’océan afin de vendre le bitume albertain sur les marchés asiatiques où, prétend-on, il trouvera de nouveaux acheteurs.»
L’ancien ministre écrit que le gouvernement «devrait encore en fournir des preuves à l’appui de cet espoir».
M. Anderson soutient que les raffineries asiatiques ont de meilleures sources d’approvisionnement que l’Alberta. Comparé au pétrole brut léger ou moyen du Nigeria et du Moyen-Orient, le bitume albertain est coûteux à produire, difficile à manipuler et ne procure aucun avantage au chapitre de la sécurité d’approvisionnement.
Malgré un réseau déjà existant sous-utilisé reliant l’Alberta aux ports américains situés sur le golfe du Mexique, le bitume albertain n’est pas parvenu à se trouver une niche importante en Asie ou ailleurs.
«Pourquoi? Parce que les acheteurs sont rares. C’est la situation actuelle et rien n’indique qu’elle changera dans l’avenir. La construction d’un oléoduc ne modifiera pas le marché», peut-on lire dans la lettre.
Deux des principaux concurrents du Canada, le Mexique et le Venezuela, font face au même problème: faible demande et prix bas.
Dans une entrevue, M. Anderson a expliqué avoir écrit la lettre parce qu’il était un libéral. Il estime qu’il fallait rappeler au gouvernement que celui-ci n’avait donné aucune justification pour aller de l’avant avec le projet. Personne ne lui a répondu, déplore-t-il.
«On pourrait penser que les propriétaires de l’oléoduc, les contribuables canadiens, devraient être informés de ce que leur actif pourrait rapporter.»
Trevor Tombe, un professeur d’économie à l’Université de Calgary, reconnaît que le bitume de l’Alberta est plus difficile à raffiner, mais cela se reflétait dans son prix moins élevé.
Les producteurs albertains sont convaincus qu’il existe une demande. Ils ont pris des engagements contractuels pour transporter le pétrole par le futur oléoduc, a fait valoir le professeur. M. Tombe rappelle que toutes les prévisions, y compris celle de l’Office national de l’énergie, tablaient sur une augmentation de la production dans la province.
«La seule question qui compte dans l’économie du pipeline est de savoir si les barils seront expédiés, et non où ils iront. Cela pourrait même changer d’une année à l’autre», affirme-t-il. Il mentionne aussi que les États-Unis et la Colombie-Britannique peuvent représenter des marchés pour le bitume albertain.
Kevin Birn, un expert du marché du pétrole brut chez IHS Markit, le marché asiatique est celui qui connaît la plus forte croissance.
Il souligne que l’Asie ne se limite pas à la Chine. Le continent est un immense marché qui regroupe aussi l’Inde, le Japon, la Corée du Sud et bien d’autres pays. Ce marché recherche une variété de produits bruts, à la fois sur le plan de la qualité et de la provenance géographique.
Les raffineries peuvent être reconfigurées pour traiter divers types de pétrole, mais il serait difficile de justifier cette opération pour le brut albertain si elles ne peuvent pas en obtenir de façon constante, ajoute M. Birn.
«En l’absence d’une capacité d’exportation significative, il n’y a pas de marché pour le brut canadien. Mais si c’est le cas, il aura un marché pour le brut canadien.»