OTTAWA — La deuxième phase du débat controversé sur la lutte contre l’islamophobie au Canada s’amorce cette semaine aux Communes.
Le comité permanent du patrimoine canadien entame lundi en après-midi ses travaux sur «les formes de racisme et de discrimination religieuse systémiques» au Canada, qui fait suite à une motion contre l’islamophobie adoptée le printemps dernier aux Communes.
Le débat entourant la motion avait provoqué des affrontements entre la gauche et la droite au Parlement et ailleurs au pays. La députée libérale torontoise d’origine pakistanaise Iqra Khalid, qui avait déposé la motion, a reçu des milliers de messages haineux et même des menaces de mort.
Sa collègue Hedy Fry, qui préside le comité parlementaire, soutient par contre que tous les partis ont collaboré afin de dresser la liste des témoins, et que les députés sont prêts à écouter et à apprendre. «Je ne crois pas qu’on assistera à des scènes disgracieuses», a estimé Mme Fry.
Ce dossier sera l’un des premiers à retenir l’attention des députés après un été marqué par de violentes tensions, en Virginie, entre nationalistes blancs et opposants, qui a fait une morte et une vingtaine de blessés à Charlottesville, et une manifestation à Québec pour empêcher un défilé du groupe La Meute, proche de l’extrême droite. «Cela prouve que notre travail est pertinent», a estimé la députée Fry.
La motion, connue sous le nom de «M-103», est issue d’une pétition qui avait circulé à l’été 2016 demandant à la Chambre des communes de se joindre aux signataires en reconnaissant que «les individus extrémistes ne représentent pas la religion de l’islam, et en condamnant toutes les formes d’islamophobie». Aux Communes, 201 députés avaient appuyé la motion, alors que 91 s’y étaient opposés. Tous les députés libéraux et néo-démocrates l’avaient appuyée, alors que les bloquistes et conservateurs, à l’exception de deux députés, avaient voté contre. Les opposants estimaient surtout que la motion était trop vague et qu’elle pouvait enfreindre la liberté d’expression.
«Haine et peur»
Plus de 70 000 personnes avaient signé la pétition lorsque le chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair, a déposé sa propre motion demandant à la Chambre des communes de l’appuyer. Quelques conservateurs s’étaient opposés et sa première tentative avait échoué. Mais quelques semaines plus tard, sa motion a été adoptée, attirant peu d’attention.
Puis, le 1er décembre, la députée libérale Iqra Khalid a déposé sa propre motion, qui demandait à la Chambre des communes de condamner l’islamophobie et «toutes les formes de racisme et de discrimination religieuse systémiques». Mme Khalid parlait alors d’un «climat croissant de haine et de peur au sein de la population». Elle demandait aussi qu’un comité des Communes entreprenne une étude sur la façon dont le gouvernement pourrait éliminer ce problème et recueille des données sur les crimes haineux.
La pétition a été déposée aux Communes deux jours plus tard; le gouvernement libéral avait répondu en condamnant l’islamophobie le 30 janvier, au lendemain de l’attentat contre la mosquée de Québec, qui a fait six morts et plusieurs blessés. La résolution, jusqu’ici passée plutôt inaperçue, prenait alors une importance nouvelle.
Deux semaines plus tard, la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, a annoncé que la motion avait l’appui entier du gouvernement libéral. Les conservateurs ont tenté sans succès d’élargir la motion en proposant de retirer le terme «islamophobie», afin que l’initiative s’applique à toutes les religions. C’est là que le terme «islamophobie» est devenu controversé.
Tarek Fatah, fondateur du Congrès musulman canadien, viendra d’ailleurs dire au comité cette semaine que le libellé de la motion est trop vague. Il craint par ailleurs que cette résolution empêche toute critique du fondamentalisme musulman.
Le nouveau chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer, avait voté contre la résolution, notamment pour des motifs de liberté d’expression.