Moduler les mesures de distanciation sociale à long terme pourrait permettre de lutter contre la COVID-19 sans asphyxier l’économie, selon une nouvelle étude réalisée par des chercheurs ontariens.
Des experts de l’Université de Toronto et de l’Université de Guelph ont eu recours à une modélisation mathématique pour tenter de prédire la progression de la maladie en Ontario. Selon leur modèle de base, pas moins de 56 % de la population de la province contractera le nouveau coronavirus au cours des deux prochaines années.
Si rien n’est fait, au plus fort de la crise, 107 000 citoyens seraient hospitalisés, dont 55 000 aux soins intensifs. La province a présentement une capacité de 2000 lits de soins intensifs.
Leur étude suggère toutefois qu’une distanciation sociale dite «dynamique» pourrait prévenir une pression trop importante sur le système de santé, tout en accordant «un répit psychologique et économique périodique pour des populations».
La distanciation sociale est présentée par les agences de santé publique du Canada comme un outil efficace pour freiner la propagation de la maladie.
La clé, selon l’auteure principale de l’étude Ashleigh Tuite, est de «surfer sur la courbe» en arrimant les mesures de distanciation sociale à la quantité d’hospitalisations aux soins intensifs. Ainsi, les restrictions peuvent être assouplies lorsque le nombre de lits occupés diminue, puis resserrées lorsque ce nombre se rapproche de la capacité maximale du réseau de la santé.
«Au lieu d’une courbe épidémique abrupte, on a une courbe qui s’étire et qui monte et descend, monte et descend, et on module notre réponse en fonction de notre position sur cette courbe», expose Mme Tuite, professeure adjointe en épidémiologie à l’Université de Toronto.
L’article a été soumis à la fin mars au Journal de l’Association médicale canadienne et publié en version préimprimée qui n’a pas encore été scientifiquement révisée par les pairs.
Amy Greer, l’une des auteures de l’étude, y voit une autre manière de gagner du temps d’ici à ce qu’un vaccin soit disponible, ce qui prendra probablement plus d’un an.
Cette proposition semble «raisonnable» aux yeux du professeur de mathématiques et de biologie à l’Université McMaster Ben Bolker, qui n’était pas impliqué dans l’étude.
La difficulté se situe selon lui sur le plan logistique et bureaucratique. Les gouvernements pourraient mettre en oeuvre la distanciation dynamique en modifiant le nombre maximal de personnes pouvant participer à un même rassemblement, suggère-t-il.
Mme Tuite et M. Bolker affirment qu’un dépistage exhaustif permettrait aux autorités ontariennes de concentrer leurs efforts sur les points chauds de contamination la province.
Ceci pourrait même permettre à certains des travailleurs de reprendre sporadiquement le boulot.
Le professeur d’économie à la retraite de l’Université McMaster Atif Kubursi estime que cette nouvelle étude constitue un bon point de départ pour déterminer la marche à suivre. Mais elle ne se penche pas sur les effets économiques des redémarrages et fermetures d’entreprises, souligne-t-il.
«Cela semble un peu simpliste, avance M. Kubursi. Je ne sais pas s’il est facile de réactiver et d’arrêter l’économie à nouveau.»
«Il faudrait connaître la réponse à la question: est-ce que ça en vaut la peine? Peut-on faire retourner autant de gens au travail pendant de courtes périodes?», se demande-t-il.
«Si oui, c’est peut-être un moyen de garder l’économie rodée, de la faire rouler. Ça pourrait en valoir la chandelle.»