OTTAWA — Lorsque Kaleo Joseph Gary Rabbitskin est venu au monde le mois dernier, sa naissance a marqué un tournant pour sa communauté.
C’était la première fois en 50 ans qu’un bébé naissait dans la Première Nation de Sturgeon Lake avec les pratiques d’accouchement traditionnelles cries.
« Lorsque le bébé est né, c’était dans un environnement chaleureux et accueillant, soutenu par le feu sacré, par la cérémonie d’accueil », a déclaré Shirley Bighead, directrice du Sturgeon Lake First Nation Health Centre en Saskatchewan.
Sturgeon Lake, comme de nombreuses Premières Nations, a longtemps été mal équipée pour les grossesses à haut risque et manquait de sages-femmes pour soutenir un accouchement traditionnel. Cela signifie qu’au cours des cinq dernières décennies, les mères ont dû parcourir des centaines de kilomètres hors de la réserve pour accoucher dans des hôpitaux à l’extérieur.
Quand Ashley Rabbitskin a accouché de Kaleo le 23 février, elle était entourée de sa famille proche, y compris sa mère et ses tantes.
« La boucle est bouclée pour que ma fille accouche avec une sage-femme, tout comme j’ai été accouchée avec ma tante et ma mère », a témoigné la mère d’Ashley, Norma Rabbitskin, qui est également infirmière principale au Sturgeon Lake Health Centre.
Plus de 200 km pour accoucher
Les mères autochtones sont plus susceptibles que les non autochtones de parcourir plus de 200 kilomètres pour accoucher, selon une étude menée par le Canadian Medical Association Journal.
La même étude a révélé que l’éloignement géographique des communautés autochtones des maternités et les inégalités systémiques dans l’accès aux soins de santé prénatals et maternels sont également des facteurs clés qui obligent les mères autochtones à parcourir de très longues distances pour accoucher sans leurs proches.
Les dirigeants de Sturgeon Lake veulent que l’expérience d’Ashley se produise régulièrement et élaborent une législation de bande qui normalise les naissances traditionnelles au sein de la communauté.
« La naissance est un droit inhérent, rien à quoi nous ayons jamais renoncé. Nous voulions éloigner (les mères et les bébés) de l’environnement froid et stérile des centres de soins actifs », a expliqué Mme Bighead.
La législation — probablement en place d’ici la fin de l’année prochaine — sera éclairée par les connaissances de Sturgeon Lake et les histoires de création crie, les pratiques culturelles entourant la santé mère-enfant, le recrutement de nouvelles sages-femmes et le transfert des connaissances de l’accouchement traditionnel aux nouvelles mères et aux femmes enceintes.
Une naissance traditionnelle Nehiyawak — ou crie — implique des cérémonies sacrées et des enseignements auxquels la mère participe avant et après la naissance. Mais les hôpitaux hors réserve ne répondent pas aux besoins culturels d’une naissance crie.
« C’était ce qui manquait — ces soins spirituels et tous ces soins émotionnels que nos aînés fournissent », a indiqué Mme Bighead.
Sturgeon Lake a repris ses services de santé de Santé Canada en 1995, mais il a fallu encore 27 ans pour qu’un bébé naisse dans la communauté.
Près d’une décennie entière a ensuite été consacrée à la résolution des obstacles administratifs et à la collecte de fonds pour faire démarrer le projet.
Même après cela, il a fallu 15 ans de consultation, de planification et de formation pour mettre en œuvre un programme complet permettant à une mère d’accoucher à Sturgeon Lake, a rapporté Norma Rabbitskin.
« Ce fut une passion de la communauté de revitaliser l’accouchement », a-t-elle déclaré.
La formation des sages-femmes qui sont déjà dans les réserves rendra les accouchements pour les mères dans les régions éloignées moins chers, selon les données fournies par le Conseil national autochtone des sages-femmes.
Il y a actuellement 11 femmes enceintes et 36 mères au total qui apprennent les pratiques d’accouchement Nehiyawak dans le cadre d’un programme pilote à Sturgeon Lake.
Nouvelle maison de naissance
La communauté va construire une maison de naissance qui est au cœur de la nouvelle législation, équipée d’instruments issus de la médecine occidentale et traditionnelle. Il sera conçu en tenant compte des valeurs spirituelles et cérémonielles, a déclaré la conseillère en santé de la bande de Sturgeon Lake, Christine Longjohn.
« Tous nos enseignements viennent de la préconception à la mort, c’est donc un processus continu dans lequel les mères se lancent », a-t-elle déclaré.
Ces enseignements éclaireront la disposition architecturale du nouveau centre de naissance, a-t-elle ajouté.
La porte fera face au sud, la direction à laquelle font face toutes les portes cérémonielles et sacrées de la culture crie, a précisé Mme Longjohn. Il comprendra quatre salles d’accouchement, une salle d’enseignement avec un feu sacré au milieu, des salles de repos familiales et une salle à manger.
« Je pense que c’est très bien de parler de souveraineté, de juridiction et d’autonomie, a ajouté Mme Bighead. Mais je crois que ce que nous faisons, c’est de pratiquer cela, pas seulement d’en parler. »
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Ce reportage, né d’une collaboration entre l’École de journalisme de l’Université Carleton et La Presse Canadienne, a été réalisé avec l’aide financière du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.