YASENYTSIA-ZAMKOVA, Ukraine — Olena Boiko se souvient avoir été en état de choc lorsque les infirmières ont commencé à la glisser sur une civière vers l’abri antibombe du sous-sol alors qu’elle était en travail pour donner naissance à son premier enfant.
Elle était enceinte de sept mois lorsque la Russie a commencé son invasion brutale de l’Ukraine, obligeant la famille de Mme Boiko, dans la ville de Lviv dans l’ouest du pays, à vivre sous la menace constante d’attaques de missiles.
Ne sachant pas où aller, Mme Boiko et son mari, Volodymyr, se sont retirés à la campagne. Ils ont vite compris qu’ils n’étaient pas plus en sécurité là-bas qu’en ville. Ils ont choisi de retourner à Lviv pour l’accouchement, assurés par les médecins qu’elle pourrait avoir son bébé dans l’abri antibombe si nécessaire.
«Nous étions ébranlés, mais nous n’avions pas le choix», a déclaré Mme Boiko en ukrainien par l’intermédiaire d’un interprète, tout en poussant dans sa poussette son fils, Yaroslav, aujourd’hui âgé de 10 mois, à travers la ville de Lviv, samedi.
Les sages-femmes d’Ukraine souhaitent que les femmes qui doivent accoucher pendant la guerre puissent choisir le lieu de leur accouchement.
Elles voient le Canada comme un exemple de la façon d’y arriver.
Dans un grand refuge en bois niché dans un village isolé des Carpates en Ukraine, un groupe d’environ 30 sages-femmes s’est réuni vendredi autour d’une sage-femme d’Ottawa, Betty-Anne Daviss, alors qu’elle expliquait comment accoucher à l’extérieur de l’hôpital et comment la pratique est réglementée au Canada.
Il s’agissait de la première formation dispensée par l’Association des sages-femmes d’Ukraine, qui a été officiellement créée à la fin de l’année dernière à la demande de Mme Daviss.
La profession de sage-femme est réglementée en Ukraine. Elles ne peuvent pratiquer que dans les hôpitaux et n’ont pas de permis pour réaliser un accouchement à domicile.
Cela les a obligées à prendre des décisions difficiles sur ce qu’il faut faire lorsque les femmes ne peuvent pas ou ne veulent pas aller à l’hôpital.
«Il y avait une catégorie de femmes qui m’ont appelé et m’ont demandé de venir les aider à accoucher chez elles ou dans un abri antibombe, (car) une roquette peut toucher un établissement médical», a déclaré en ukrainien Svitlana Rudchenko, une sage-femme de la capitale, Kyiv.
«Il y avait aussi des femmes qui étaient très anxieuses, ne voulaient pas sortir de leur zone de confort et avaient peur d’aller à la clinique.»
Anastasia Menzhynska, la sage-femme qui dirige la nouvelle association, a raconté qu’elle avait dû accoucher dans des abris antibombes et même accompagner en ligne des femmes dans les territoires occupés pendant leur travail.
Réglementation de la profession
Selon Mme Menzhynska, le problème est que les sages-femmes se voient non seulement refuser l’autorisation pour des accouchements à domicile, mais elles n’ont pas non plus la formation nécessaire pour accoucher en dehors de l’hôpital.
C’est pourquoi Mme Daviss a voyagé plusieurs fois entre le Canada et l’Ukraine depuis le début de la guerre pour leur enseigner.
Mme Daviss, qui a déjà voyagé au Guatemala et en Afghanistan, a formé les sages-femmes ukrainiennes sur ce qu’il faut faire en cas d’hémorragie post-partum. Elle leur a également appris comment procéder lorsque le bébé n’est pas dans une bonne position pour la naissance, si son épaule se coince ou si la mère a des jumeaux, ainsi que comment réanimer un nourrisson qui ne respire pas.
«Nous avions vu que des gens accouchent dans des abris antibombes et des stations de métro et j’ai pensé qu’ils avaient vraiment besoin de s’organiser», a indiqué Mme Daviss dans une entrevue dans l’une des chambres confortables du refuge.
Betty-Anne Daviss leur enseigne également des compétences de nature plus politique, comme comment faire pression sur leur gouvernement pour leur accorder plus de marge de manœuvre et offrir une plus grande reconnaissance professionnelle pour leur travail.
«Elles ont toujours été dans le système, donc elles ne veulent pas le faire en dehors du système. Elles veulent que ce soit légal, que cela soit sûr et que cela soit bien intégré», a-t-elle affirmé.
Elle a raconté au groupe comment les sages-femmes canadiennes se sont battues pour la réglementation en Ontario il y a 30 ans.
Depuis lors, le nombre de sages-femmes au Canada est passé d’environ 60 en 1994 à 1700 en 2019, alors que davantage de provinces ont suivi l’exemple de l’Ontario, selon un article de 2019 de Kathi Wilson, professeure adjointe au département de sage-femme de l’Université McMaster à Hamilton.
Mme Boiko a mentionné qu’elle n’aurait pas choisi un accouchement à domicile pour elle-même, car elle préfère la sécurité médicale de l’hôpital.
«Bien sûr, s’il y a des bombardements réguliers et qu’il n’y a nulle part où être à part son sous-sol, alors la sage-femme doit être avec la femme», a-t-elle déclaré par l’intermédiaire d’un interprète.
Mme Daviss estime que cela pourrait suffire à ouvrir les portes aux femmes qui préféreraient un accouchement à domicile.
«Là où il y a la guerre, c’est là que les catégories vont changer, a-t-elle déclaré. C’est à ce moment-là que les gens vont commencer à réfléchir en dehors de la boîte.»