OTTAWA — Dans la foulée des révélations selon lesquelles le ministre des Finances Bill Morneau et sa famille avaient effectué des voyages à l’étranger parrainés par l’organisation UNIS, des experts du secteur caritatif affirment que couvrir les frais de déplacement d’un donateur est une pratique inhabituelle.
Le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, a déclaré aux membres du Comité des finances de la Chambre des communes, la semaine dernière, qu’il venait tout juste de rembourser à UNIS plus de 41 000 $ pour des voyages que sa famille et lui avaient effectués en 2017 au Kenya et en Équateur. Le ministre était alors invité à constater de visu les projets humanitaires de l’organisme caritatif.
UNIS soutient avoir eu l’intention dès le départ de couvrir les frais de ces voyages. L’organisme estime que cette pratique de couvrir les dépenses de donateurs potentiels n’a rien d’extraordinaire dans le secteur du développement international.
«De temps en temps, gratuitement, UNIS invite des donneurs potentiels à constater l’impact de leurs projets internationaux», a déclaré UNIS à La Presse Canadienne dans un communiqué.
«De nombreuses organisations caritatives et humanitaires internationales fonctionnent de la même manière», avait déclaré UNIS dans une autre déclaration envoyée aux journalistes la semaine dernière.
Mais Elizabeth Gomery, associée fondatrice de Philantropica, un cabinet qui offre des consultations stratégiques en matière de collecte de fonds, affirme que payer pour que de riches donateurs voyagent à l’étranger n’est pas une pratique courante.
«Habituellement – et je n’ai jamais vu d’autre cas que celui qui concerne UNIS, le donateur paie ses propres frais», a-t-elle déclaré.
«Je peux vraiment dire qu’il est extrêmement rare de voir un cas où un organisme de bienfaisance paie la facture pour qu’une personne fortunée visite le travail qu’elle fait à l’étranger.»
Ann Rosenfield, de l’organisme-conseil «Charitably Speaking», qui a plus de 20 ans d’expérience dans le domaine, est du même avis.
«Les organismes de bienfaisance sont très soucieux dans la gestion de l’argent des donateurs, et nous avons tendance à demander aux gens qui sont généreux avec nous de couvrir leurs propres dépenses afin que nous soyons très, très prudents sur les dollars que nous dépensons.»
Mme Rosenfield et Elizabeth Gomery, associée fondatrice de cette société de conseil philanthropique, affirment que les organismes de bienfaisance qui invitent les donateurs à participer à des voyages à l’étranger s’attendent généralement à ce qu’ils paient eux-mêmes leurs dépenses.
UNIS soutient que les voyages offerts aux commanditaires et donateurs potentiels pour constater sur place le travail de l’organisme lui ont permis d’amasser des millions de dollars.
Le cofondateur d’UNIS, Craig Kielburger, a déclaré mardi que l’épouse de Bill Morneau, Nancy McCain, était déjà au Kenya en juillet 2017 pour constater le travail d’autres organismes de bienfaisance qu’elle parraine lorsqu’UNIS l’a invité, elle et sa fille, à séjourner dans des hébergements appartenant à l’organisme.
«Dans notre esprit, c’était une invitation à une famille canadienne très en vue, Mme McCain, qui est très philanthropique», a déclaré Craig Kielburger.
Six mois plus tard, UNIS a de nouveau accueilli Bill Morneau et sa famille en Équateur, où l’organisation a payé pour l’hébergement, la nourriture et «la supervision du chantier, alors qu’ils construisaient des écoles et travaillaient sur un projet de volontariat», a déclaré Craig Kielburger au comité des finances des Communes, mardi.
Bill Morneau a déclaré qu’il avait toujours prévu de couvrir personnellement tous les montants et qu’il avait auparavant remboursé les frais de vol et d’hôtel de 52 000 $ pour des excursions. Cependant, la semaine dernière, il a déclaré qu’il avait été surpris de découvrir, en examinant les reçus avant son témoignage, que des coûts supplémentaires de 41 366 $ avaient été couverts par l’organisme de bienfaisance.
Il les a immédiatement remboursés et s’est excusé pour l’erreur.
UNIS a déclaré que la famille Morneau est restée dans des logements appartenant à l’organisme parce que leurs programmes sont situés dans des régions rurales avec «peu ou pas d’options d’hébergement alternatives».
Mais Elizabeth Gomery a indiqué qu’elle trouvait cela problématique. Les hébergements d’UNIS appartiennent à ME to WE, une entité à but lucratif qui est une organisation sœur d’UNIS.
«Les loges sont très chères», a-t-elle déclaré, notant qu’elles fonctionnent sur une base lucrative. «C’est un peu brouillon, pour être honnête.»
Interrogé à savoir si des séjours gratuits pour les donateurs dans les hébergements ME to WE signifient qu’UNIS achète des services à son entreprise sociale à but lucratif, UNIS a répondu que ME to WE «a contribué pour des millions de dollars de plus à UNIS qu’UNIS a acheté des services tels que des hébergements de voyage.»
Dans sa déclaration, l’organisation a indiqué les objectifs de ME to WE. Ils comprennent l’hébergement des donateurs qui visitent des projets caritatifs ou des projets financés par des bourses pour les jeunes. «Cela s’est traduit par des dizaines de millions de dollars directement donnés par ces bailleurs de fonds à UNIS».
UNIS a également souligné que 100% des bénéfices de ME to WE «ont été soit donnés à UNIS, soit réinvestis pour développer la mission sociale».
Il y a un débat permanent dans les cercles d’organismes humanitaires pour savoir si ces types de voyages sont une forme de «tourisme de pauvreté» pour les riches Nord-Américains.
Ann Rosenfield a déclaré que ces voyages ne devraient avoir lieu que lorsque les personnes visitées sont des partenaires à part entière de l’entreprise.
En fin de compte, cela dépend des situations et des conditions individuelles et de la façon dont une visite d’un donateur pourrait avoir un impact sur les personnes sur le terrain, a-t-elle ajouté.
«S’il est dans l’intérêt (des) personnes présentes à cet endroit que quelqu’un leur rende visite, c’est une considération très importante.»
Elizabeth Gomery est d’avis que les voyages internationaux pour les donateurs sont un outil important pour certaines organisations afin de permettre aux commanditaires de voir de visu l’impact de leurs dons, à condition que cela soit fait de manière appropriée et avec la sensibilité requise.
Elle croit que les vraies questions éthiques tournent autour de la raison pour laquelle UNIS a payé la note du riche ministre des Finances et de sa famille à l’étranger.
«Je ne serais pas à l’aise avec ça si j’étais donateur pour UNIS. Je serais assez en colère à ce sujet, pour être honnête.»
Bill Morneau et Justin Trudeau font l’objet d’une enquête de la part du commissaire fédéral à l’éthique pour ne pas s’être récusés lors des discussions sur la sélection d’UNIS pour la gestion d’une bourse de 912 millions de dollars pour le bénévolat étudiant.
Devant la controverse, UNIS a finalement renoncé au contrat le 2 juillet et le programme est maintenant administré par la fonction publique.
Plus tôt ce mois-ci, UNIS a annoncé avoir lancé un examen formel de son organisation visant à simplifier ses offres de programmes et à apporter des changements de gouvernance et structurels.
« L’objectif est de rationaliser la structure organisationnelle d’UNIS, y compris une évaluation de l’avenir de ME to WE, dans le but d’en arriver à une séparation plus nette de l’entreprise sociale des entités de bienfaisance ».