
L’Himalaya de Matthieu Ricard
En une cinquantaine d’années, le moine-photographe français Matthieu Ricard a parcouru tous les hauts lieux du bouddhisme, a rencontré ses plus éminents maîtres spirituels, a échangé avec quantité de leurs disciples et a assisté à une infinité de rituels, en ayant toujours son appareil photo à portée de main. Du Népal au Tibet en passant par l’Inde et le Bhoutan, il a ainsi brillamment documenté le quotidien des communautés monastiques, des paysans, des nomades et des grands sages de l’Himalaya, tout en s’imprégnant de leur vécu et de leurs enseignements.
Le livre qu’il présente ici — qui fait suite à plusieurs titres semblables — dévoile 350 images presque toutes d’une exceptionnelle beauté, entre moments magiques et fragments d’intimité, entre personnages bouleversants et décors naturels grandioses, où la lumière est parfois si belle qu’elle semble provenir du nirvana. L’auteur, qui agit également comme interprète francophone du dalaï-lama depuis 30 ans, y retrace notamment son parcours personnel en y allant de textes ponctués de nombreuses réflexions philosophiques. Soulignons que la totalité des droits d’auteur est reversée à l’association humanitaire Karuna-Shechen.
Un demi-siècle dans l’Himalaya, de Matthieu Ricard, Éditions de La Martinière, 2022, 368 p., 65 $

Jamais trop de bistrots
Qu’ils soient pittoresques, crades, flamboyants, kitsch, chaleureux, festifs ou feutrés, les bistrots font partie du décor social de l’Hexagone depuis des lustres. Lieux d’échange, de détente, de célébrations ou de révolutions, ils servent à refaire le monde ou à le regarder passer — à moins, bien sûr, qu’on préfère l’oublier, accoudé au comptoir, attablé en salle ou affalé sur la terrasse.
C’est tout cet univers qu’explore avec brio Au bonheur des bistrots, en rendant un bel hommage à ces lieux populaires grâce à une centaine de photos d’ambiance, quelques explications et descriptions à l’appui. En feuilletant les pages, on croise des taties avec leur minet et des papis avec leur roquet, on toise des visages creusés par les épreuves et des personnages truculents à la trombine gaillarde, on reluque des couples en train de roucouler ou d’allonger le pas sur le carrelage. Du Café du coin d’en bas du bout de la ville d’en face du port (Saint-Malo) au Cercle des ouvriers de Saint-Symphorien jusqu’aux dorures du Train bleu de la gare de Lyon (Paris), cet ouvrage rappelle aussi que le zinc est « le seul métal conducteur d’amitié », comme le dit l’écrivain Antoine Blondin.
Au bonheur des bistrots, de Pierrick Bourgault, Éditions de La Martinière, 2022, 128 p., 51 $

La vanlife à l’européenne
Adoptée par les hippies dans les années 1960, devenue une mode bien ancrée avant même 2020, la vanlife (l’art de voyager dans une fourgonnette aménagée) s’est transformée en une véritable obsession avec la pandémie : tout le monde désirait fuir la réalité quotidienne, les hôtels étaient presque tous fermés et personne ne voulait se frotter aux autres. Désormais mode de vie pour certains ou façon de voyager sporadiquement pour les autres, la vanlife constitue toujours une version habitée du road trip : telle la tortue, on traîne avec soi sa maison… en se déplaçant plus vite.
C’est pour tous ces adeptes de parcours routiers ruraux qu’a été créé ce beau livre allègrement illustré, qui rassemble 50 récits accompagnés d’une feuille de route pour partir à l’aventure sans trop planifier — l’essence même de la vanlife. Les régions explorées sont tantôt classiques (Andalousie, lacs d’Italie, Algarve, Péloponnèse…), tantôt moins fréquentées (Transylvanie, Istrie, pays de Galles, Alpes allemandes…), voire plus exotiques (pays baltes, Bulgarie et mer Noire, Albanie, Luxembourg…).
L’ouvrage est aussi pimenté de trouvailles culinaires à tâter du palais en cours de route, ainsi que de coups de cœur où passer la nuit, se baigner dans la nature ou croquer de jolis clichés (coordonnées GPS à l’appui), et ce, en toute liberté — le maître mot de cette façon de voyager. Des trucs pratiques, des détails sur les formalités administratives et des conseils pour voyager sereinement complètent le tout, et chaque récit se conclut par une série d’itinéraires dans la même veine, à essayer ailleurs sur le Vieux Continent. Bref, une multitude de sources d’inspiration pour partir en cavale, dès cet hiver.
Van en Europe : Les plus beaux itinéraires pour découvrir le continent, d’Astrid Duvillard et Alexandra Lam, Lonely Planet, 2022, 320 p., 46 $

Un atlas des curiosités géographiques
Dans cet ouvrage, on apprend une foule de choses insolites sur les frontières qui délimitent les pays, à commencer par la différence entre exclave, périclave et contre-enclave — des réalités géographiques souvent méconnues. Ainsi l’Angle nord-ouest des États-Unis forme une enclave en terre canadienne, accessible uniquement par bateau depuis le Minnesota ou par la route par le Manitoba — une périclave, donc.
Mais on découvre aussi l’existence de l’île Ernst Thälmann, seule possession d’outre-mer de l’ex-Allemagne de l’Est, à Cuba ; du canal de Saimaa, loué à la Finlande par la Russie ; ou de la chapelle Wolford, une propriété canadienne située en pleine campagne anglaise, qui fut la demeure de lord Simcoe, premier lieutenant-gouverneur du Haut-Canada.
On l’aura compris : il est beaucoup question d’entités et de territoires enclavés ou exclavés dans ce livre. Mais pas que : on parle aussi de la rue Yonge, en Ontario, qui est la plus longue au monde (1 876 km) ; de l’Ordre de Malte, seule organisation privée du globe à jouir des privilèges d’un pays ; du train du désert mauritanien, qui traverse le secteur contesté du Sahara occidental ; ou de Gornja Siga, un territoire qu’aucun pays — pas même la Serbie ou la Croatie, où il est situé — ne revendique.
Peu illustré d’images mais rempli de cartes, ce livre pour férus d’histoire et de géographie est aussi truffé d’anecdotes, comme celle de cet hôtel londonien, le Claridge’s, déclaré territoire yougoslave pour une journée afin qu’un prince héritier naisse dans son pays. Bref, toutes les bizarreries et anomalies historico-géographiques du monde s’y retrouvent, ou presque : il n’y manque à peu près que la rue Canusa, à cheval sur la frontière entre le Québec et le Vermont…
Atlas des curiosités géographiques, de Vitali Vitaliev, Éditions Jonglez, Paris, 2022, 160 p., 47 $
Et pour les plus patients, un ouvrage à paraître en janvier :

Voyager hors des sentiers battus
Pour éviter de revivre les affres du surtourisme prépandémique, et afin de minimiser le risque de répéter les erreurs du passé en se rendant tous au même endroit au même moment, ce beau livre regroupe un chapelet de destinations souvent inconnues, parfois méconnues, ou qu’on n’envisageait pas auparavant pour toutes sortes de raisons. Or, la demande pour de nouvelles idées de voyages est désormais bien ancrée et la nécessité de mieux répartir les flux de voyageurs dans le monde l’est tout autant.
Dans ce beau livre facile à potasser à temps perdu, on résume brièvement les raisons pour lesquelles on devrait se rendre dans le Shropshire anglais, les Tatras polonaises en hiver ou l’île mozambicaine d’Ibo ; on décrit quelques « expériences incroyables » au Suriname, à Milwaukee ou au Kirghizistan ; et on explique à quoi s’attendre lors d’un premier séjour en Papouasie–Nouvelle-Guinée, en Macédoine du Nord ou à Choquequirao, le « petit Machu Picchu » inca. Pour chacune des 100 destinations recensées, on établit aussi des parallèles avec des sites connus : si vous aimez le Maroc et l’Antiquité romaine, vous devriez apprécier l’Algérie ; si vous craquez pour l’Irlande, les petits ports de pêche et les phares, tout porte à croire que vous flancherez pour la presqu’île française du Cotentin.
En un mot comme en cent, ce singulier ouvrage joliment illustré a le don d’enflammer la machine à fantasmes de voyages culturels, actifs, gastronomiques ou autres, et il s’inscrit parfaitement dans le « nouvel ordre mondial du voyage » auquel nous devrions tous aspirer, celui d’un tourisme plus responsable, moins envahissant et plus diversifié que jamais.
Voyages hors des sentiers battus : 100 destinations pour voyager loin des foules, collectif, Lonely Planet, 2022, 328 p., 51 $ (en librairie le 4 janvier)
Les beaux livres présentés ici proviennent tous d’éditeurs français. Mais que faites-vous des nôtres, notamment les éditions Ulysse, qui produisent également des livres de très belle facture, notamment dans leur collection Fabuleuse ou Fabuleux, suivi du nom du pays. J’ose espérer que vous en traiterai prochainement.