Notre vie sans les forêts

Il faut réapprendre à danser. Apprivoiser le vertige des grands espaces. Pour que la forêt ne soit plus uniquement une ressource ou un poumon de secours pour nos villes qui s’allument avec leurs mégots.

Photo : Daphné Caron

Je m’arrête et lève les yeux pour contempler la cime des grandes épinettes qui se découpe dans le bleu du ciel. Leurs branches chargées de neige vacillent pesamment au gré d’un vent dont le souffle est l’unique son qui me parvient. 

Seul dans les pistes de ski de fond de la forêt Montmorency, à 70 km au nord de Québec, je laisse ma conscience se dissoudre. Pour la première fois depuis des semaines ponctuées d’une série de moments passablement pénibles sur le plan personnel, j’ai le sentiment d’être en paix. 

Il s’agit ici de la seconde chronique où je tâche de proposer des solutions pour combattre ce qui nous grignote l’âme plutôt que de m’attarder, comme c’est mon habitude, au rongeur lui-même. Ceci n’est donc rien de moins qu’un plaidoyer en faveur du retour à la nature comme antidote à cette époque anxiogène.

Parce qu’il y a dans la forêt quelque chose d’immense, de simple et de beau qui inspire la quiétude. En quelques secondes, l’odeur et le silence ponctué de rares sons m’y recentrent comme aucun cours de yoga ni aucune appli de méditation n’y parviennent. 

Chaque fois, cette expérience me soulage de l’enfer des listes qui n’en finissent plus de nous faire jouer à Sisyphe. Une pétarade sans décibels qui est celle de la frénésie constante, devenue ma drogue, la nôtre. Notre raison de vivre aussi : je m’agite, donc je suis. « Pour avoir associé le silence à l’ennui et la mort, nous avons choisi le camp du bruit », affirme l’anthropologue Serge Bouchard dans L’allume-cigarette de la Chrysler noire (Boréal). 

C’est dans la forêt, à l’écart des tours cellulaires et des corvées, que nous avons le loisir de retrouver notre humanité.

Or, l’absence de bruit, la nature, voilà un moyen de rompre avec la suffocante modernité qui consiste à surcharger nos agendas et ceux de nos enfants, de plus en plus gras et anxieux. Ce qui fait frémir d’horreur les experts en santé publique, qui voient dans le surpoids et la piètre santé mentale les principales menaces à notre bien-être collectif. Cela fait des années que les médecins d’ici et l’Organisation mondiale de la santé nous préviennent. Mais le tumulte de nos vies étouffe leurs avertissements.

La banlieue de ma jeunesse, qui comprenait d’immenses sous-bois, a fait place à un étalement urbain qui a colonisé nos esprits en même temps que le territoire. Les enfants jouent moins dehors librement. De plus en plus de voix s’élèvent pour dire que cette absence de contact avec le monde naturel n’est pas entièrement étrangère aux dérèglements physiques et psychiques qui les affligent. 

Il y a 10 ans, François Cardinal publiait Perdus sans la nature (Québec Amérique), un essai troublant sur la perte de contact des enfants avec le jeu libre à l’extérieur. Je l’avais conservé, et le redécouvre surligné, annoté, écorné. Études, témoignages, expertises scientifiques y convergent pour livrer le portrait d’une société qui a peur de laisser ses enfants s’amuser seuls, les a coupés de l’expérience avec la nature pour les river devant des écrans.

Ces enfants-là sont devenus ados, adultes.

« Et ça n’a fait qu’empirer, croit l’éditorialiste en chef de La Presse. Il n’y avait pas de iPad, les téléphones intelligents n’entraient pas dans la vie des jeunes aussi tôt. Les déconnecter du numérique pour les brancher au monde naturel représente donc un défi encore plus grand. »

Nous dressons la liste (vous la trouverez dans son livre) des bienfaits de jouer dehors. Pour les petits, surtout. Et pour les grands, Cardinal évoque cet horizon que procure le monde extérieur, qui fait tomber les barrières dans nos têtes et permet à la pensée de prendre des chemins de traverse autrement inaccessibles.

Saint-Denys Garneau exprimait ainsi la chose dans les premières strophes d’un poème de Regards et jeux dans l’espace : « Mes enfants vous dansez mal / Il faut dire qu’il est difficile de danser ici / Dans ce manque d’air / Ici sans espace qui est toute la danse. »

Il faut réapprendre à danser. Apprivoiser le vertige des grands espaces. Pour que la forêt ne soit plus uniquement une ressource ou un poumon de secours pour nos villes qui s’allument avec leurs mégots. Car c’est là, à l’écart des tours cellulaires et des corvées, que nous avons le loisir de retrouver notre humanité.

« Il y a de longs silences lorsque tu marches à deux en forêt, constate François Cardinal. La réflexion se poursuit dans ta tête sur un sujet abordé plus tôt, et tu as le temps d’y revenir. Ça dilate le temps et ça permet d’approfondir la conversation. Et la relation. »

Mieux que 1 000 textos. Que 10 soupers au resto. Sans le malaise de l’immobilité des longues heures en auto et, pour le dissiper, le son de la radio. La forêt est le moyen de nous retrouver. Il est temps de retourner nous y perdre. 

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Je dois être un privilégié sans le savoir. Mois qui ai grandit en jouant dans la forêt avec mes amis. Puis adolescent c’était la chasse et la pêche. Et j’y suis encore à pied en l’automne, en raquette ou ski de fond en hiver et en kayak sur lacs et rivières en été. Et en passant je n’ai pas de « smart phone » et je ne m’en porte pas plus mal.

Les plus grandes cathédrales sur la planète ce sont les forêts anciennes. Si vous voulez avoir une véritable expérience spirituelle, allez dans les grandes forêts anciennes, surtout celles qu’on trouve sur la côte ouest de l’Amérique du Nord. J’ai eu le bonheur de fouler leur sol et de respirer cet air filtré par les sapins, cèdres, pruches et séquoias géants et je puis affirmer qu’il s’agit là d’une expérience inoubliable.

Certaines de ces forêts sont d’accès facile comme la Cathedral Grove sur l’île de Vancouver près de Parksville mais ce n’est pas très vaste et très visité car tellement facile d’accès mais ça risque de vous donner la piqûre pour aller voir celles qui sont plus éloignées comme le parc provincial Carmanah Walbran encore sur l’île de Vancouver ou encore plus loin, la forêt du Grand Ours sur la côte nord de la province. Évidemment il y a les grandes forêts de séquoias de la Californie qui sont généralement assez facile d’accès.

¨ Pour la première fois depuis des semaines ponctuées d’une série de moments passablement pénibles sur le plan personnel, j’ai le sentiment d’être en paix… ¨ je relate vos paroles qui sous-tendent un ou des événements qui, dans une vie, nous remettent les pieds lourdement sur terre et les yeux en face des trous. Pardonnez moi si je me trompe, mais si c’est ça, j’ai vécu semblables choses il y a de cela 25 ans avec un rupture de couple et le décès accidentel de mon plus vieux garçon. C’est à ce moment là que j’ai fait à peu près comme vous: ski de fond presque tous les jours et bicyclette dans les bois en belle saison. Le vide mental et physique, le silence assourdissant et la solitude au coeur d’une vaste forêt qui pourtant fourmille de vie qui vous étourdit l’âme et l’esprit.
Voila ce que j’ai vécu et c’est pourquoi, aujourd’hui même, je suis à mon petit chalet, dans le bois de La Montmorency, sans télé, dans un banc de neige de quatre pieds d’épais, et que je suis bien, merveilleusement bien.