Patrick Marleau aime les chaussures bien astiquées. Pas seulement ses 36 paires, mais aussi celles des autres. En 2014, à l’âge de 37 ans, il renonce à l’entretien ménager pour devenir l’un des rares cireurs de métier au Québec, et le plus jeune parmi cette petite confrérie.
Dès le début, Patrick Marleau crée un service mobile, appelé Le Valet Cireur, et conçoit son propre fauteuil. Avec sa bouille sympathique, son allure rétro et son chapeau chic, il ne passe pas inaperçu dans les nombreuses activités où on l’engage pour cirer les chaussures des invités et convives, que ce soit au Grand Prix de formule 1, au lancement d’une marque de whisky ou de vin à la Société des alcools, ou à une soirée-bénéfice, comme le Bal Salé, au profit du collège Salésien, à Sherbrooke. Depuis 2017, il offre des services particuliers dans des entreprises. « Je veux que ce métier-là revienne à la vie », dit-il.
Ce retour des cireurs n’est pas un phénomène uniquement montréalais, au contraire. Dans les grandes capitales, on voit réapparaître des regroupements d’artisans, comme The Jaunty Flâneur, à Londres, et Les Cireurs, à Paris. Et bien sûr, on en croise à New York, où ils étaient demeurés nombreux. « Parce qu’à New York, on ne signe pas un contrat sans des chaussures bien cirées », souligne Patrick Marleau, qui déplore que tant de Québécois mettent beaucoup de soin à se vêtir et si peu à se chausser.
« Il y a un regain d’intérêt pour le travail des cireurs qui s’inscrit dans la mode rétro des années 1950. Les hipsters courent les salons de barbier à l’ancienne, dont certains offrent à leur clientèle un service de cirage », explique la réalisatrice montréalaise Stacey Tenenbaum, qui a produit le documentaire Les cireurs. Ce vieux métier a failli disparaître au début des années 1960 avec l’introduction des chaussures bon marché et jetables, et la popularité des baskets en toile. « Actuellement, dit-elle, la recrudescence des chaussures haut de gamme favorise les cireurs. » Et leur fait côtoyer une clientèle souvent prestigieuse : Patrick Marleau a ciré les chaussures de Donald Sutherland, Demi Moore et Justin Trudeau, notamment.

L’autre tendance, dont profite particulièrement Patrick Marleau, c’est la montée des services de conciergerie d’affaires dans les grandes entreprises, comme BMO Groupe financier et Financière Banque Nationale, où il passe plusieurs jours par semaine. « L’idée, c’est d’offrir des services exclusifs à nos employés pour les libérer des préoccupations extérieures », dit Claude Gagnon, directeur général des opérations et adjoint exécutif au président de BMO Groupe financier, Québec. Claude Gagnon avait connu Patrick Marleau comme cireur à l’aéroport, où ce dernier avait tenu un fauteuil pendant près de trois ans. Quand il a songé à créer le service de cirage, le banquier a tout de suite pensé à lui. « Au début, Patrick offrait son service sur deux étages, mais on l’a vite étendu à tout l’immeuble. Il offre aussi maintenant la blanchisserie. Pour quelqu’un comme moi qui arrive très tôt et qui rentre tard, c’est indispensable. »
Patrick Marleau vous cire une paire de chaussures pour 8 dollars, des bottes pour 10 — le suède, c’est 6 dollars de plus. Il vous bichonne un porte-documents pour 14 dollars, mais quand il s’agit d’un fauteuil ou d’une selle, tout dépend de la taille. « Je répare aussi beaucoup de talons, dit-il. À la Banque de Montréal, les femmes représentent 60 % de la clientèle. »
Il lui aura fallu trois mois pour acquérir les bases du métier en travaillant comme cireur chez Tony Pappas, une cordonnerie au cœur du Plateau-Mont-Royal, où l’on trouve l’un des rares fauteuils de cireur ouverts au public à Montréal. « J’ai appris à réchapper les cuirs râpés, tachés, gorgés de sel. Mais il faut savoir comment faire », affirme-t-il en tapotant sa « bible » : Chaussures pour hommes, de Bernhard Roetzel (Ullmann, 2015).
Patrick Marleau a de l’ambition. Il envisage de créer sa propre marque de cirage, ses brosses, ses chiffons. Il étudie actuellement des recettes à base de miel et de cire. Surtout, il voudrait aussi évoluer vers des services plus haut de gamme, comme le « patinage ». « Un “patineur” est capable de changer la couleur d’une chaussure. C’est un service de luxe, qui se vend 150 dollars et plus », dit Patrick Marleau, qui aimerait bien trouver le temps d’aller en Europe afin d’apprendre cette technique.
Le nom de son entreprise, Le Valet Cireur, n’est pas une fantaisie. « Dans ma famille, on m’appelait “le petit valet”, parce que j’étais toujours prêt à servir. C’est central dans notre métier : il faut être attentif à la chaussure, mais aussi au client. Moi, je fais ce métier pour le contact humain. »
Cet article a été publié dans le numéro d’avril 2018 de L’actualité.