J’ai tenté le mois sans alcool, cette année. Pour des raisons qui m’appartiennent (comme vous dites), j’ai décidé de le faire de façon non consécutive. J’ai commencé mon mois en février, et si tout va bien, je vais le terminer dans quelques jours.
J’ai donc eu la chance de découvrir à quel point la phrase « Non merci, je ne bois pas » est un miroir dans lequel notre interlocuteur voit ses propres insécurités. On dit : « Je ne bois pas », et l’autre entend : « Tiens, j’ai noté l’adresse de la Maison Jean Lapointe pour toi. »
On se retrouve alors inévitablement dans une conversation sur la place de l’alcool dans nos vies modernes. Une place qui, nous assure l’interlocuteur, n’a rien de problématique. Après tout, il ne boit jamais la semaine. Sauf peut-être le jeudi. Et mardi dernier, mais c’était une occasion spéciale.
Comme la sobriété améliore la mémoire, on se souvient de toutes les fois où on a déjà eu cette conversation. Cinq fois ? Quinze ? Assez pour vouloir recommencer à boire ? Pas loin.
La même chose arrive aux végétariens. On prétend qu’ils ergotent sans cesse à propos de leur amour du tempeh, alors que ce sont les autres qui leur en parlent. Les végés, eux, ne demandent qu’à manger leur bol de pois chiches au seitan en paix.
Dans un monde idéal, la solution serait que les gens apprennent à gérer leurs anxiétés et ne se sentent pas remis en question par des décisions qui ne les concernent pas. Or, nous ne vivons pas dans un monde idéal, comme le prouve le fait qu’une suite au film Angry Bird va sortir bientôt.
Ne reste qu’une seule option : l’honnêteté un peu brusque.
— Je te sers du vin ?
— Non merci.
— Bière ?
— Non plus.
— … Crème de menthe ?
— Non merci. Je ne bois plus, et ça ne me tente pas d’en parler.
[Petit malaise]
Un petit malaise de quelques instants, pour éviter une longue discussion ennuyeuse ? Je lève mon verre à ça, sitôt que j’ai fini mon mois.
Dans le métro, devrais-je offrir ma place à une femme avec une petite bedaine, si je ne suis pas certain qu’elle est vraiment enceinte ?
Ce dilemme, que les scientifiques ont baptisé la « Maman de Schrödinger », n’existe que tant que vous occupez un siège. Solution : libérez-le sans l’offrir.
Levez-vous sans rien dire. Puis, fixez votre téléphone ou intéressez-vous intensément au plan du métro comme si on vous avait chargé de dessiner la future ligne rose. Si la Mona Lisa de la maternité veut le siège, elle le prendra. Si quelqu’un d’autre le prend à sa place, il hérite du dilemme dont vous vous êtes libéré. Tant pis pour lui. Vous, vous aurez un peu mal aux jambes en arrivant à destination, mais vous aurez le cœur léger.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de juin 2019 de L’actualité.
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C’est vrai dans tellement de situations. Article savoureux.
J’ai arrêté l’alcool, les drogues aussi, mais ça, je n’en prenais jamais, j’ai arrêté le café, les boissons gazeuses aussi. J’ai arrêté le sucre, et le sel aussi. Je mange encore des maudites charcuteries, des chips un peu. Je ne mange pas assez de légumes, mais, j’en mange, j’ai pas mal coupé le beurre, et remplacé ça, plus ou moins par de l’huile d’olives. Je me sens très bien merci. Vraiment très bien. Et, si quelqu’un veut en parler, ça va me faire plaisir d’en parler …
Si tu as une certaine âge, de l’éducation et de la politesse, tu donne la place à la dame, peu importe son état, bedenne ou pas.