Cet été, partez à l’aventure dans les archives de L’actualité pour (re)découvrir les grands classiques estivaux du Québec.
Ce n’est pas Cape Cod ni Ogunquit, mais c’est moins loin, avait argumenté ma sœur : à 90 km à l’ouest de Kingston, en Ontario, à seulement quatre heures de route de Montréal. Sans compter le temps qu’on allait gagner en ne traversant pas de douanes.
La première fois que je suis allée à Sandbanks , il y a 10 ans, c’était pour lui faire plaisir. Une fin de semaine de camping en famille à prix abordable, adaptée aux enfants, à mi-chemin de nos maisons respectives. Et ça allait sentir la mer, avait-elle promis.
Je ne m’attendais pas à grand-chose. Quelle surprise ! Avec ses 11 km de plages et ses 8 km de dunes, Sandbanks est l’un des plus beaux parcs provinciaux de l’Ontario que j’ai visités, moi qui ai grandi dans cette province. L’effet « bord de mer » est convaincant : le lac Ontario n’est pas l’océan, mais la rive opposée se perd à l’horizon et les vagues sont impressionnantes, surtout quand le vent vient du sud-ouest. Sans compter que le reste de la péninsule — qui fait deux fois la taille de l’île de Montréal, pour 25 000 habitants — est devenu depuis quelques années un paradis de l’agrotourisme, avec plus de 40 vignobles.
Été après été, des milliers de Québécois vont passer leurs vacances à Sandbanks, attirés par ses plages de sable blanc et l’eau chaude du lac. Depuis cinq ans, l’engouement est tel qu’à la Saint-Jean-Baptiste et durant les vacances de la construction on entend presque uniquement parler français dans les campings ! Comme le lac est peu profond, l’eau y est de 2 °C plus chaude qu’à la plage Parlee, au Nouveau-Brunswick. Certaines années, on se baigne jusqu’à l’Action de grâce à Sandbanks. Et les enfants peuvent jouer dans le sable sans risquer d’être emportés par la marée !

Les deux plages sont accessibles à pied de la plupart des 620 emplacements de camping (de 30 à 45 dollars la nuit). Et comme il s’agit d’un parc provincial, il n’y a ni manèges, ni vendeurs de souvenirs, ni cabanes à patates frites. Seul élément rappelant Old Orchard : un minigolf à l’entrée du parc. Il sert à faire patienter les enfants pendant que les parents attendent de passer à la guérite.
Car le seul inconvénient de Sandbanks, c’est l’affluence.
Au plus fort de l’été, il n’est pas rare de voir des voitures rebrousser chemin, faute d’avoir pu entrer dans le parc pour la journée. Quand les Torontois débarquent en masse pour profiter de la plage (ils sont à deux heures de route), les files d’attente peuvent s’étirer sur cinq kilomètres. « En 30 ans, le nombre de visiteurs est passé de 350 000 à 760 000 par an, mais on n’a pas plus de places de stationnement », explique Agnese Bortolussi, directrice adjointe depuis 1988. Mieux vaut ne pas se présenter sans réservation pour camper : il est toujours possible de trouver une place à la dernière minute, à la faveur d’une annulation, mais Agnese Bortolussi recommande de réserver dès le mois de décembre pour l’été suivant.
L’expérience de camping est inégale. Les emplacements, sablonneux, sont plutôt entassés. Par contre, le parc est grand — deux fois la superficie des îles de Boucherville —, et les plages sont tellement longues qu’une fois à l’eau les visiteurs ne se marchent pas trop sur les pieds. La péninsule offre par contre d’autres possibilités pour le camping, en plus des nombreux gîtes et auberges. Et la grosse ville, Belleville, n’est qu’à 30 minutes en auto.

À part les plages, le parc compte trois sentiers de randonnée de quelques kilomètres, y compris celui des Dunes, le plus grand système de dunes d’eau douce au monde. On peut aussi louer kayaks, canoës et matériel de pêche.
Sandbanks est le joyau — et la principale industrie — du comté de Prince Edward, au paysage bucolique, parsemé de fermes et de petits villages. Si je suis retournée deux fois à Sandbanks, c’est davantage pour le County, comme disent les gens du coin, que pour le parc. À quelques minutes en auto de celui-ci, les trois principaux villages — Picton (4 500 habitants), Wellington (1 900) et Bloomfield (700) — recèlent quantité de restaurants, de cafés, de fromageries, de boulangeries, de microbrasseries, de vignobles et de musées. À Picton, il y a même un cinéma de répertoire, le Regent Theatre, qui sert aussi de salle de spectacle, à moins que la famille ne préfère le cinéparc Mustang, à Bloomfield.
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Lors de mon dernier séjour, j’ai dormi à l’auberge Angéline’s Inn, à Bloomfield. Dans cette grande maison victorienne en brique rouge qui date de 1869, tout est décoré dans le style rétro, avec des meubles des années 1960 et du papier peint excentrique, à motifs de sapins, entre autres. « En avril 2017, Justin Trudeau est venu y célébrer l’anniversaire de sa femme », me souffle la réceptionniste, Johanne, encore sous le charme du couple. « Les autres aubergistes en étaient jaloux ! »
Angéline’s Inn est située sur la route 33, qui traverse les trois villages. La route est bordée de maisons victoriennes converties en gîtes, en galeries d’art et d’artisanat et en boutiques les plus diverses, allant des antiquaires aux bijoutiers. L’été est une suite de festivals — des arts, du vin, du fromage, de la lavande, de la musique bluegrass et même des tomates. Pour les sportifs, il y a le Millennium Trail, ancienne voie ferrée convertie en sentier pédestre, qui traverse la péninsule de Picton jusqu’au lieu historique du Portage-de-la-Baie-de-Quinte, à Carrying Place. On peut aussi louer des vélos — le paysage est plutôt plat — ainsi que des kayaks ou des canots pour profiter des nombreuses baies.

Les responsables touristiques ont tendance à vanter le comté en tant que « capitale gastronomique de l’Ontario ». J’ai trouvé qu’ils exagéraient un peu : on y mange bien, mais sans plus. Par contre, la région mérite pleinement sa réputation de deuxième centre vinicole de l’Ontario, après Niagara.
Une des pionnières de la viticulture dans la région est une Québécoise : Catherine Langlois, 45 ans, propriétaire de Sandbanks Winery, à Wellington, l’un des producteurs les plus importants du comté de Prince Edward — son vin le plus populaire est le French Kiss, un cabernet merlot que la clientèle québécoise achète à la caisse. En 2001, après un détour par la Bourgogne, cette native de l’île d’Orléans, diplômée de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec en gestion hôtelière, est venue y planter ses deux premiers hectares de vigne.
Catherine Langlois me reçoit dans son étonnante salle de dégustation, qu’elle a voulue simplissime : cela ressemble à une grande remise de jardin. Elle y reçoit 100 000 visiteurs par été. « Il y a de l’espace ici. Les gens sont en vacances, dit-elle. On laisse les enfants courir et jouer ! »

Tout de même : la culture urbaine de Toronto commence à déteindre. Depuis quelques étés, les hipsters torontois descendent massivement à l’hôtel Drake Devonshire, à Wellington, avec son décor rétro branché (chambres à 400 dollars la nuit) et son menu où les huîtres le disputent à la salade de confit de canard et à la lasagne aux truffes. Les microbrasseries poussent comme des champignons. Et à Picton, deux jeunes Torontoises ont entièrement retapé un ancien repaire d’amateurs de pêche, le June Motel, pour en faire une sorte de paradis rétro hyper-branchouille de 16 chambres, qui offre cours de yoga, tours de vélo, course à pied, excursions en kayak. Pas mal pour un motel qui affichait encore récemment « Défense de vider les poissons dans les chambres » !
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Même si le comté de Prince Edward est une terre loyaliste — la route 33 a même été baptisée Loyalist Parkway, en hommage aux colons américains fidèles à la Couronne anglaise, venus au Canada après la guerre de l’Indépendance —, les Québécois y sont bien accueillis. Il faut dire qu’ils constituent jusqu’aux trois quarts des clients de certains vignobles. À la fin de l’hiver, les commerçants se mettent donc en quête de personnel bilingue.
« Je commence à pratiquer mon français d’école au mois de mai », dit Drew Wollenberg, propriétaire du pub County Canteen, à Picton, et de la microbrasserie 555 Brewing. L’influence des visiteurs québécois est telle que Drew Wollenberg, un grand costaud barbu, a conçu une bière spécialement pour eux. « Lorsqu’on a ouvert le restaurant, les Québécois me demandaient “une blonde”. Je ne savais pas ce que c’était. » S’inspirant de recettes belges, il a donc conçu une blonde — « à 5 % d’alcool, pour que les gens puissent repartir à la plage après le dîner ».

Les commerçants se sont familiarisés avec les coutumes québécoises, à commencer par le concept des vacances de la construction. « Au début, je ne comprenais pas trop pourquoi il en venait tant d’un coup à la fin juillet », s’exclame Lynn Sullivan, copropriétaire de Rosehall Run Vineyards, qui apprécie particulièrement la clientèle québécoise. Contrairement à certains des milliers de vacanciers qui font la tournée des vignobles en haute saison, « ils ne sont pas du genre à faire du glug and leave [on cale et on déguerpit], dit-elle. Les Québécois prennent le temps de bien déguster et ils achètent plus que la moyenne. »
Ce qui crée quelques vagues… à Sandbanks, où les Québécois sont connus pour apporter leurs bouteilles de bière et de vin à la plage, même si c’est interdit. « Beaucoup ignorent que c’est interdit, ou ils le prétendent, dit Agnese Bortolussi. Quand on le leur dit, ils font semblant de ne pas parler l’anglais. » Mais cela sera bientôt du passé. « Nous travaillons à traduire toute notre documentation en français pour mieux accueillir les visiteurs québécois. »
Cet article a été publié dans le numéro de juin 2018 de L’actualité.