Natasha Kanapé Fontaine est une touche-à-tout. Membre de la communauté innue de Pessamit — à une cinquantaine de kilomètres de Baie-Comeau, sur la Côte-Nord —, elle est poète, écrivaine, traductrice, peintre, comédienne et chanteuse. Militante pour les droits des Autochtones, elle cherche par son travail à donner une voix aux gens de sa communauté, et à ouvrir les yeux des Québécois sur le racisme, la discrimination et les conséquences de la colonisation.
En plus de refléter son amour de l’art et du territoire, l’œuvre de Natasha Kanapé Fontaine relate son expérience du monde et sa quête identitaire. Ses mots s’offrent comme une main tendue qui accompagne le lecteur sans le bousculer, ouvrant ainsi la porte à une volonté commune de changer les choses.
Frédérique Saint-Julien, de la librairie montréalaise Un livre à soi, suggère cinq titres à lire dans l’ordre, pour avancer au rythme de l’écrivaine.

2012
N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures
C’est avec ce premier recueil, dont le titre est tiré d’une expression tzigane, que Natasha Kanapé Fontaine a d’abord fait entendre sa voix et celle des femmes de sa communauté. Véritable plongée à l’intérieur de son âme, chaque poème est à la fois un cri du cœur et une immense dose de tendresse. Cette dualité, entre souffrance et bienveillance, est caractéristique de son écriture. Avec un lexique charnel et corporel, elle invite le lecteur à la suivre dans ses premiers rapports avec le territoire et sa quête des origines ; deux étapes cruciales pour sa renaissance comme femme innue. Ce recueil, lauréat du Prix des écrivains francophones d’Amérique, est une superbe porte d’entrée, puisqu’il permet de comprendre le cheminement de la poète, de choisir de l’accompagner pour la suite avec empathie et ouverture.
Il faut que tu sois le possible
miam manim
pour me discerner
m’apercevoir
les steppes arctiques
se mêleront à nos gorges
(Mémoire d’encrier, 76 p. ; extrait reproduit avec la permission de l’éditeur)

2021
Kuei, je te salue : Conversation sur le racisme
Ce livre est à la fois un essai et un geste ; celui d’échanger, de dialoguer, d’ouvrir une brèche dans nos incompréhensions. Il s’agit d’une correspondance entre Natasha Kanapé Fontaine et l’écrivain Deni Ellis Béchard (Vandal Love ou Perdus en Amérique, lauréat du Prix du Commonwealth du premier roman en 2007). Les deux auteurs y entament une conversation franche et nécessaire sur le racisme entre allochtones et Autochtones, notamment pour envisager une démarche de réconciliation. Une première édition, parue en 2016, posait des questions fondamentales sur le génocide culturel et les notions de privilège. La réédition, publiée en 2021, poursuit sur cette lancée tout en tenant compte d’événements marquants de l’actualité, parmi lesquels le soulèvement des Wet’suwet’en contre le gazoduc Coastal GasLink en Colombie-Britannique et la mort de Joyce Echaquan, une Atikamekw ayant perdu la vie à l’hôpital de Joliette après avoir été victime de négligence en raison de préjugés racistes. Les deux écrivains proposent des pistes de réflexion à partir de leur expérience personnelle, ce qui permet de comprendre de manière plus concrète les pensées, les revendications et le travail de Natasha Kanapé Fontaine.
(Écosociété, 208 p.)

2014
Manifeste Assi
En s’interrogeant sur l’avenir du monde, Natasha Kanapé Fontaine cherche les chemins de la guérison, de la paix et de l’alliance entre les peuples dans ce recueil, finaliste au prix Émile-Nelligan. Son questionnement fait écho à celui de Kuei, je te salue. À travers la parole de sa communauté, elle raconte son histoire, réfléchit sur ses blessures et sur les voies à emprunter pour bâtir la suite, pour imaginer une révolution portée par l’amour et la collaboration. Assi signifie « Terre » en innu. Ses poèmes nous obligent donc, tout en douceur, à prendre conscience des limites de notre mode de vie actuel, des impacts de l’homme sur son environnement ainsi que des possibilités du vivre-ensemble, entre humains, mais aussi avec la nature et le territoire.
Où vas-tu le monde
où vas-tu le monde mes draps jaunis
par le temps
où vas-tu courir quand les cigales hurlantes
quand la lune
où vas-tu périr quand les roseaux
Se plaignent
les ours grattent
la boue et le miel.
(Mémoire d’encrier, 88 p. ; extrait reproduit avec la permission de l’éditeur)

2018
Nanimissuat – Île-Tonnerre
L’évolution de Natasha Kanapé Fontaine est évidente dans ce recueil de poésie plus incisif et assumé. Au rythme de l’écriture, l’autrice chemine dans sa réconciliation avec son histoire et son origine. Ici, elle mise sur la force des femmes. Elle met en scène une grand-mère, une mère et une fille qui reprennent la maîtrise de leur corps et de leur destin et se confient aux ancêtres. Elle montre que ce sont les femmes, les gardiennes des racines, des gestes et des traditions, qui permettront de retrouver la route vers l’identité et la culture innues. L’écrivaine se révèle fière de reprendre sa place comme innue, de trouver une légitimité dans son appartenance. Son cheminement personnel fait écho à celui de la société et aux conversations que les Québécois sont prêts à avoir.
J’allume les feux
La nuit
Ma mère ma grand-mère
Sont mes sœurs
Un pacte de lumière
Nous lie
La peau
Fondue sur nos coudes
Les grandes brûlées
N’ont rien à voir
Aux conflits
Des continents.
(Mémoire d’encrier, 80 p. ; extrait reproduit avec la permission de l’éditeur)

2021
Nauetakuan, un silence pour un bruit
Le premier et seul roman écrit par Natasha Kanapé Fontaine se passe à notre époque, il aborde donc les enjeux autochtones contemporains. Elle traite d’urbanité et de l’invisibilité des premiers peuples à travers le personnage d’une jeune femme à la recherche de ses racines, qui s’interroge sur ce que signifie être innue lorsqu’on vit en ville, loin des siens et du territoire. Après avoir découvert les toiles et les installations de Rebecca Belmore — une artiste anichinabée — au Musée d’art contemporain de Montréal, elle entame un périple aux quatre coins du continent, dans l’espoir de se trouver et de guérir les blessures qui rongent sa famille. Elle obtiendra des réponses dans les communautés qui se forment organiquement dans les villes, dans les relations intergénérationnelles et les transmissions entre femmes, et dans sa définition de la liberté. L’écriture romanesque est certes plus accessible que la poésie pour de nombreux lecteurs, mais il est intéressant de terminer par le roman, qui constitue une suite logique dans le cheminement identitaire de l’écrivaine. Elle pousse la réflexion entamée dans sa poésie encore plus loin pour montrer que les violences du passé exercent une influence sur le présent des premiers peuples, sur leur façon de vivre et de tisser des liens. Elle aborde aussi les sources de sa créativité, faisant une grande place à l’art contemporain, la musique et la parole.
(XYZ, 254 p.)