L’homme qui voudrait vivre au Moyen Age… Vous vous souvenez de lui ? C’était Paul Zumthor, érudit, professeur et romancier révéré par les critiques, qui disait dans L’actualité (15 avril 1992) que « nous avons tous des ancêtres » au Moyen Age. « Tout ce sur quoi se fondent nos sociétés modernes, ajoutait-il, est sorti des structures archaïques de cette époque. »
Et vous ? « Si vous deviez vivre à une autre époque, laquelle choisiriez-vous ? »
Nous avons posé la question à une brochette de gens connus. Eh bien, autant les questionner sur leur déclaration de revenus ! Si on accepte volontiers d’aller au bout du monde, on refuse le transfert dans le temps. A les en croire, tout le monde est satisfait de son époque et ne veut vivre qu’aujourd’hui et maintenant. Tout le monde a une opinion sur tout, mais pas d’époque préférée–à part la sienne. Enfin, pas tout le monde… On accepte d’autant plus volontiers de jouer le jeu qu’on est plus artiste. Ou, parfois, politicien. La plupart des gens d’affaires repoussent pudiquement le micro. L’époque à laquelle ils aimeraient vivre, quelques minutes, le temps d’une entrevue, c’est celle à laquelle il n’y aurait pas de journalistes pour poser des questions semblables !
A-t-on plus d’imagination quand on est artiste ? Il en faut pourtant beaucoup pour être politicien ! Ou pour structurer un montage financier, découvrir un nouveau marché.
C’est que notre petit jeu n’est pas anodin. Derrière une opinion, on se cache. Dans un choix, on se révèle. Les réponses sont des confessions. Et les artistes, c’est connu, sont plus extravertis, exhibitionnistes même. Certains–pas tous–ont joué le jeu…
Dany Laferrière
Serait-il Dany Laferrière s’il avait répondu la même chose que tout le monde ? L’auteur de Comment faire I ‘amour avec un nègre sans se fatiguer répond sans hésiter: « L’époque de la guerre d’indépendance haïtienne. » Conduite par Toussaint Louverture, elle s’est déroulée en même temps que la Révolution française, de 1791 à 1804.
« Et j’aurais voulu être Capois-la-Mort. Parce que ce que l’histoire a retenu de lui, c’est un acte de bravoure pure. Moi, je suis un lâche. C’est lui qui dirigeait les troupes à Vertières, lors de la dernière bataille contre les Français. Un premier boulet a arraché son chapeau. Il a continué. Un second boulet a fauché son cheval. Il a continué. Devant tant de bravoure, le général Rochambeau–qui n’était pas n’importe qui, c’était le bras droit de Napoléon–a fait cesser la bataille et envoyé un officier présenter les honneurs à l’indigène qui venait de se couvrir de tant de gloire. »
Le débit a changé, comme si Dany Laferrière avait tout à coup sorti un vieux manuel, pour citer mot à mot une phrase qui l’émerveille encore. Aurait-il un deuxième choix ? C’est de sa mémoire d’enfant que la réponse vient encore une fois. Il revoit la vieille gravure d’un livre sur les guerres napoléoniennes qui montre Napoléon et ses troupes passant devant un paysan endormi. « Il y a des milliers d’hommes, mais c’est le seul personnage reconnaissable, à part Napoléon. »
Dany Laferrière est en train d’écrire le scénario d’un film et publie cet automne la suite de L’Odeur de café, Le Goût des petites filles.
Denise Bombardier
Serait-elle Denise Bombardier si elle se prêtait facilement au jeu ? Elle commence par répondre qu’elle « ne croit pas à la réincarnation », qu’elle « ferait la même chose », « que le sentiment aigu du moment historique n’appartient pas aux contemporains »…« Si c’est pour être fuckée, la Renaissance ou maintenant, qu’est-ce que ça change ? se demande-t-elle. C’est ce qui nous habite qui compte. Il n’y a pas d’époque absolue. Je suis en train de lire la biographie de George Sand… Le 19e siècle, pour une femme c’était pas de la tarte. » Mais elle finit par admettre: « Déjà, je préfère l’époque de ma jeunesse à l’époque actuelle. J’aime mieux une époque où il y a des tabous, où la notion de péché existe, que le désarroi d’une époque sans valeurs. »
Comme si, pour elle, la vraie question n’était pas celle-là.« L’idéal, peu importe l’époque, ce serait de ne pas avoir de contraintes matérielles. Je ne veux pas dire être riche. Je veux dire ne pas être soumise aux contingences, ne pas être obligée de penser à préparer les repas. C’est ça, le vrai rêve. C’est vivre au-dessus de ça, ou en dehors de ça. Vivre de l’esprit et du coeur. »
En plus de faire sa rentrée en prime time à la télé, Denise Bombardier travaille à un essai sur « les relations amoureuses après le féminisme » et à un nouveau roman. Elle croit que l’écriture va prendre de plus en plus d’importance dans son existence. Alors, s’il y avait une époque où l’« écriture était reconnue pour elle-même, passait avant l’efficacité, peut-être
Gilles Loiselle
«Je me vois très bien en France, en train de lire tranquillement, dans la cour d’un château.» Mais le premier choix du président du Conseil du trésor du Canada, c’est maintenant, dans son rôle.
« J’aime la fébrilité. Je suis né en 1929, j’ai 63 ans, ma seule nostalgie va vers l’avenir. J’ai connu l’époque où l’automobile était encore quelque chose de nouveau, et je suis rendu à l’époque de la navette spatiale. Je suis allé en Afrique pour la première fois à l’époque coloniale et j’ai vécu la décolonisation. Et j’assiste maintenant au passage de l’ère de l’industrie à celle de l’environnement. »
Le ministre oublie-t-il le déficit, la cote du gouvernement dans les sondages ?…
« C’est une période difficile pour tous les gouvernements. Je pense que les prochaines décennies vont être cruciales. Mais en tant qu’espèce, malgré tous les problèmes, jamais la race humaine n’a eu autant les moyens de s’en sortir. Et à cause des communications modernes, ça se passe de plus en plus à l’échelle de la planète. Tous embarquent. On retrouve le sens de la Terre. »
Arlette Cousture
L’auteur des Filles de Caleb et de Ces enfants d ‘ailleurs choisirait de vivre 20 ans plus tôt, tout simplement. Pas par nostalgie, mais parce que l’époque actuelle, la montée du fanatisme religieux, du fascisme sous toutes ses formes, lui font peur. C’est pour ça qu’elle aimerait« être morte plus tôt. Tout est bien ou mal, noir ou blanc, il n’y a plus de nuances. On est en chute libre. » Ce qui amène le satanisme, le racisme, la remontée du Ku-Klux Klan. Son pessimisme. « Je ne vois pas comment on peut renverser le cours de ça. Je ne crois plus aux politiciens. »
Par contre, certains aspects de l’époque la fascinent. Et elle ne voudrait surtout rien manquer des découvertes « qui commencent à lever le voile sur les grandes questions des origines: le gène commun à toutes les espèces, la vérité du big bang ».
Claude Morin
«Qui aurait cru le Sommet de Rio possible il y a 10 ans ? On en fait plus en 10 ans aujourd’hui qu’en 100 ans avant. Je suis convaincu qu’on s’en va vers un monde meilleur. »
Le « père de l’étapisme », ex-ministre péquiste, est aussi un incorrigible curieux (on l’aurait deviné). Il aimerait bien vivre, lui, dans 30 ans. « La prospective se trompe toujours. Le seul moyen de savoir l’avenir avec certitude, c’est d’être là. »
Et Claude Morin ne pense pas à l’indépendance, qui se fera selon lui–ou bien le Québec sera définitivement « minorisé ». Il voudrait plutôt « savoir si l’humain est capable de s’adapter, voir le prolongement, le résultat des tendances actuelles. Dans les sciences, la technologie, les communications, la démographie ». « En 1892, dit-il, j’aurais choisi 1920. Là, je choisirais 2020. L’an 3000, c’est trop loin. Il y aura eu tellement de transformations que nous n’aurons plus de références. »
Normand Brathwaite
L’animateur de Beau et Chaud ne trouve pas vraiment à se plaindre du présent. Il ne changerait rien à sa vie. Ni à sa carrière, sinon que, si c’était à refaire, il « annoncerait Alfa Romeo au lieu de Chrysler » ! Mais parce qu’il pense que les choses vont en s’améliorant, il choisirait quand même de vivre dans 10 ou 15 ans. Parce qu’« en tant qu’homme de couleur »il est confiant que la mode des skin heads et du Ku Klux Klan sera passée et que les relations interraciales seront plus harmonieuses ». Même s’il est incertain, l’avenir prochain a des chances d’être meilleur.
Mais choisirait-il également de faire sa vie dans ce Québec que d’aucuns trouvent « raciste» ?
« C’est chez nous, ici. Mes grands-parents venaient de la Jamaïque. Mais mes parents sont nés ici. Ma mère était blanche. J’ai été élevé à Rosemont et en français. » Pour lui, le racisme, au Québec, « c’est des mottons, c’est sporadique. Moi, ma femme est une Blanche et une blonde. Je vais souvent à New York, qui a pourtant la réputation d’être une ville ouverte. C’est pas si fréquent, là-bas, les couples mixtes. C’est encore mal vu. Pas à Montréal. »
Gilles Latulippe
S’il fallait absolument choisir, il opterait pour « l’âge de pierre », l’époque des Flintstones. « il me semble qu’on bâtirait le monde autrement. »
« Le futur ne m’intéresse pas », continue le partenaire de Suzanne Lapointe aux Démons du midi. « Je ne lis même pas mon horoscope. L’âge de pierre, c’est aussi inconnu que peut l’être l’an 3000. Je trouve l’idée de partir de zéro extraordinaire. Le seul fait de survivre était un événement. Tout était à faire. »
Mais l’époque actuelle lui plaît bien et ne lui fait pas peur. Même si l’homme reste l’homme. « C’est comme à la télé: on n’est pas obligé de regarder la violence. C’est aussi éducatif. Ça ouvre l’esprit. Nos enfants en savent plus que nous. »
Antonine Maillet
«Ce que j’aime », dit Antonine Maillet dans son phare de Côte-Sainte-Anne, près de Bouctouche, « ce sont les moments d’intense vitalité, là où les choses se construisaient, où toutes les énergies pouvaient se développer. L’époque de Jeanne d’Arc, par exemple. Prendre possession de son monde, reconstruire son pays, ou le reconquérir. Les grands moments de paix, la Grèce de Périclès ou la France de Louis XIV, m’attirent moins. J’aime mieux le jour de la bataille que le soir de la victoire. »
Elle se défend bien d’être guerrière. Elle se voit mieux défendre une cause avec la plume qu’avec l’épée. « Je serais sans doute plus un témoin. Pendant la guerre, quand j’étais petite, je rêvais d’être en pleine bataille, là où l’action se passait. Sans connaître encore l’existence d’Anne Franck, j’avais imaginé une petite fille qui se battait à sa façon contre les Allemands. »
Sheila Copps
«Dans 10 ans, j’aurai peut-être abandonné la politique active pour faire un stage dans le Tiers-Monde. Mais ça, considère Sheila Copps, c’est quelque chose de très possible. Le vrai rêve, ce serait d’être Gauguin à l’époque où il a quitté la civilisation pour s’en aller vivre à Tahiti ! »
Élue à la législature ontarienne en 1981, aux Communes en 1984, Sheila Copps est, à 39 ans, chef adjoint du Parti libéral du Canada. Ce qui l’attire chez Gauguin, c’est à la fois le plaisir de vivre dans la nature –« une possibilité de renouvellement pour moi »–et la créativité.
« J’ai la parole facile, dit-elle, j’aime écrire, mais la peinture, c’est quelque chose que je ne maîtrise pas et qui m’a toujours fait envie. Il me semble que ça demande tellement de créativité et d’imagination. Pour moi, c’est un moyen de nous purger de nos frustrations. Surtout en fin de session, on finit par désespérer de nos vies, par trouver que ce qu’on appelle la civilisation semble incapable de régler les problèmes. Mais si je me retrouvais vraiment en train de peindre à Tahiti, j’imagine que l’envie me passerait après six mois. »
André Viger
«Je choisirais la période actuelle, mais de la vivre en Arabe, quelque part dans le Golfe, avec mon puits de pétrole et mon harem », lance le marathonien André Viger dans un grand éclat de rire: « Si on peut rêver, pourquoi pas ! »
Il pourrait aussi rêver de la médaille d’or olympique, ou en tout cas de celle de bronze–«un pas à la fois »– mais ça n’est pas de ça qu’il rêve non plus. Il y a 19 ans, un chauffeur endormi au volant changeait le cours de son existence, et ce dont il rêve depuis, c’est « de courir debout. Je fais souvent le rêve que je suis en train de courir, mais c’est drôle, je ne suis jamais dans un fauteuil. »
Pour le reste, « à part enlever son handicap », André Viger ne changerait pas grand-chose à sa vie s’il avait le choix. L’époque lui convient. Le Canada aussi-« on n’est pas en guerre, et on dit qu’on a la meilleure qualité de vie au monde ». Et le sport. Amateur ou professionnel, l’athlétisme ou le hockey, peu importe. « Je me verrais très bien en Patrick Roy. »
Monique Miller
Le tournage de l’autre Montréal, ville ouverte, celui de Victor-Lévy Beaulieu, dans lequel elle sera Mme Félix, un des rôles les plus importants, donne la nostalgie des années 50 à Monique Miller. Elle s’ennuie du quartier pétillant de vie qui entourait Radio-Canada dans l’ouest de la ville.
« On était moins cocooning que maintenant. Il n’y avait pas 30 chaînes de télé. On sortait plus. Il y avait une vie qui a disparu. L’autre Radio-Canada n’a toujours pas réussi à créer une vie autour. »
Mais le vrai choix de Monique Miller, un rêve qui n’a fait que grandir au fur et à mesure de ses lectures, c’est « le Paris des années 20 ». Des années folles. Le Paris des artistes venus du monde entier. Le Paris de Picasso, de Cocteau, de Dreyer, de Coco Chanel. Le Paris d’une époque où même les livres semblaient meilleurs.
« J’aurais aimé naître en 1900, pour avoir 20, 25 ans à ce moment-là. Connaître Sartre et Beauvoir dans leur jeunesse, me retrouver rue de l’Université — à cause des Thibault de Martin du Gard–, fréquenter le Vieux-Colombier, voir Copeau et Jouvet à l’oeuvre. Peut-être poser pour Matisse. »
Kim Yarochesvkaïa
«Quand j’étais petite, je rêvais de princesses. Mais mes rêves de petite fille, je les ai réalisés à la télé. J’étais en Chine, en Grèce, partout. »
Plus jeune, la comédienne, qui est née à Moscou, avait énormément de nostalgie pour son pays d’origine. « Depuis, j’y suis retournée. Ça guérit, d’y aller ! »
Paris est peut-être la seule ville dont le « climat » lui soit aussi cher que celui de Montréal. Le Paris des années 20, de Picasso, de Modigliani, des surréalistes, la seule époque qui représente une richesse culturelle aussi extraordinaire que celle qu’elle a l’impression d’avoir connue au Québec où elle est arrivée au moment du Refus Global.
Tout bien considéré, Kim Yarochevskaïa se trouve privilégiée de vivre ici, et maintenant. Son personnage de Franfreluche l’a fait connaître de tous. Elle n’a jamais manqué de beaux rôles. Même son accent n’a pas été un handicap. « Je n’ai peut-être pas joué Racine ou Claudel à cause de ça, mais j’en ai joué tellement d’autres. J’ai même joué des rôles québécois. »
Jean-Louis Roux
« Le théâtre, c’est le choix que j’ai fait. C’est l’art social par excellence, celui qui se voit le plus. »
Et s’il devait vraiment choisir entre l’époque de Molière (1622-1673), l’époque actuelle, et celle de Shakespeare (1564-1616) qui sont les trois entre lesquelles son coeur balance, il opterait pour l’Angleterre de Shakespeare.
« Shakespeare était moins près du roi, il subissait moins son autorité. Ça devait être lourd pour Molière. Sous Shakespeare, on jouait dans les cours d’auberges; c’était un art populaire avant d’être un art royal ou bourgeois. Il avait une très grande importance dans la vie du peuple, reflétait le bouillonnement des idées. Malgré tous les efforts, on n’a jamais réussi à le faire interdire. »
Et si l’on travaillait plus vite qu’aujourd’hui, c’est parce que les comédiens ne faisaient que ça. « C’était plus intense, ils n’avaient pas à s’éparpiller entre la télévision, le cinéma, le doublage et la scène. »
Pascale Lefrançois
Pascale Lefrançois a eu 18 ans en février. Il lui reste une année de cégep. Le vrai choix, pour elle, c’est de savoir si elle continuera en lettres, en histoire, ou en psychologie.
L’an dernier, les médias l’adoptaient parce qu’elle se classait première avec une seule faute à la « dictée de Pivot », cette année, ils l’oubliaient ou presque, parce que, même sans faute, elle ne se classait pas première…
Alors en attendant de percer un jour, peut-être, avec les romans historiques qui mettraient en scène la vie dont elle rêve, elle se voit à la cour de Louis XIII. A l’époque de Cyrano, des Trois Mousquetaires, de Richelieu, de la fondation de l’Académie française. Elle se voit près du roi, participant aux intrigues, encourageant les arts. « C’était une époque captivante. On passait de la Renaissance aux temps modernes. La France était un pays très raffiné. Bien sûr, les femmes jouaient un rôle plus effacé, l’hygiène et le confort n’étaient pas ce qu’ils sont maintenant. Mais on n’avait pas connu autre chose. »