Ariane Moffatt et les temps fous

«Il faut être passionné pour avoir envie, aujourd’hui, de commencer dans ce métier. Les auteurs-compositeurs de la relève, je les trouve courageux», dit l’auteure-compositrice-interprète Ariane Moffatt, qui fait ce métier depuis 15 ans.

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Dans 22 h 22, son cinquième album, l’auteure-compositrice-interprète, nouvellement maman, aborde pour la première fois le thème de la mort. – Photo : Marie-Reine Mattera

Elle est arrivée pimpante et souriante, emmitouflée dans un cardigan rouge éclatant. Il a beau faire un froid sibérien à l’extérieur, Ariane Moffatt a le cœur chaud, la parole facile et l’œil reposé à la veille du lancement de son album 22 h 22, son premier depuis deux ans. Une pause pendant laquelle sa conjointe, Florence Marcil-Denault, a donné naissance à leurs jumeaux, en juillet 2013.

Auteure, compositrice et interprète, coach à la très populaire émission La voix (TVA) en 2013, interprète de la bande originale — en anglais — de la série Trauma (SRC) en 2010, Ariane Moffatt, qui se décrit comme une boulimique d’information, pose un regard lucide sur l’industrie, la liberté d’expression, l’homoparentalité. Et sur son défi en 2015 : trouver l’équilibre travail-famille.

L’actualité l’a rencontrée dans un café de Montréal.

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Vous qui faites ce métier depuis 15 ans, trouvez-vous qu’il a évolué pour le mieux ?

Je préfère la façon de faire d’aujourd’hui : condenser le travail sans attendre. On vit dans une époque d’instantanéité où, quand tu sors quelque chose, c’est go go go, parce que d’autres sortent aussi leurs trucs et que ça circule vite. Avant, il s’écoulait plus de temps entre la sortie d’un album et les spectacles. Maintenant, on fait tout en même temps : la promo, les répétitions en vue de la tournée, les réunions de scénographie… L’album n’est pas encore fini que les répétitions commencent ! Dès qu’ils entendent la musique, les gens veulent voir le show. Ça me convient bien, parce qu’une fois l’album fini je suis comme un lion en cage. J’ai hâte de partager mes chansons avec les autres.

Cette instantanéité n’est-elle pas difficile à vivre pour les artistes de la relève ?

Il faut être passionné pour avoir envie, aujourd’hui, de commencer dans ce métier. Les auteurs-compositeurs de la relève, je les trouve courageux. Mais comme ils n’ont pas connu l’« avant », ils arrivent avec une fraîcheur. Et ils ne cherchent pas nécessairement à gagner leur vie seulement avec leurs chansons. Avec les plate­formes de streaming [NDLR : diffusion en continu sur Internet], c’est devenu difficile. Tous les sous vont aux distributeurs Internet, et nous, les artistes, n’avons aucun retour là-dessus. Cette nouvelle façon de faire demande qu’on lâche prise, mais ça pousse aussi à plus de créativité.

Et à développer son côté entrepreneur ?

Tout à fait. Je suis maintenant chez Simone Records [NDLR : une petite maison de disques mont­réalaise indépendante]. Avec ma sœur, qui est mon agente, on est vraiment autonomes et indépendantes. La mise en marché de l’album, ce sont nos idées, nos contacts. Il n’y a plus d’intermédiaires. Ça nous force à tout met­tre en place pour que les choses se passent à notre manière.

Qu’avez-vous voulu exprimer sur votre nouvel album ? La naissance des jumeaux a-t-elle été inspirante ?

La maternité n’a pas juste bouleversé ma vie quotidienne, elle a aussi transformé ma vie intérieure. La maternité éveille à beaucoup d’autres considérations — comme la mort, un sujet que je n’avais jamais abordé avant, et qui est très présent sur l’album.

Ces petites vies qui sont arrivées sous mes yeux m’ont amenée, pour la première fois, à inventer des scénarios avec la mort. Par exemple, sur la chanson « Mort à vivant, je me suis imaginée me rendre à mon studio un matin et voir soudainement réapparaître mon frère qui serait décédé dans un accident d’auto. Je dis que c’est ma chanson Twilight : mon frère est bien en vie, et il est un conducteur très prudent ! Écrire cette chanson, c’était une façon pour moi de regarder la mort en face, de lui faire une place autrement qu’à travers des idées macabres, de l’anxiété ou de la dépression.

L’album précédent, MA, était bilingue. L’incursion dans le marché anglophone n’était-elle qu’une parenthèse ?

Après avoir fait la bande originale de la série Trauma, j’ai eu envie d’explorer la création en anglais, mais mon intention n’était pas de conquérir ce marché. Je ne rêvais pas d’une carrière internationale. C’était surtout une façon de sortir de ma zone de confort, de recommencer ailleurs. Ça m’a permis de découvrir une scène plus alternative, anglophone, avec de nouvelles plateformes de promotion pour les bands qui commencent.

Vous ne cachez pas vos opinions. Vous avez dénoncé les compressions à Radio-Canada, vous avez pris la parole lors des manifestations étudiantes en 2012… Qu’est-ce qui vous indigne le plus ?

Quand la démocratie est ébranlée, qu’on bafoue le droit d’un individu à jouer un rôle dans la société. Quand des gens de pouvoir jouent avec les idées de base de la liberté d’expression, ça crée chez moi un grand sentiment d’injustice. Je ne fais pas des chan­sons engagées dans le sens propre du terme, mais j’exprime mes opinions de citoyenne à travers ma musique.

Votre chanson « Les tireurs fous… » était presque prémonitoire, après les attentats contre Charlie Hebdo, non ?

Je l’ai écrite à la suite de la tuerie des policiers au Nouveau-Brunswick. Ensuite, il y a eu celles d’Ottawa et de Charlie Hebdo. Je voulais parler de cette violence qui rôde en silence et dont on ne peut pas vraiment se protéger. Il y avait aussi en moi, à ce moment-là, l’instinct de protection de la maman qui s’installait. La chanson dit : « Gardez-moi loin des tireurs fous… » C’était comme un cri du cœur.

Vous avez affiché votre homosexualité et êtes devenue le porte-étendard de la lutte contre l’homophobie et de l’homoparentalité. Est-ce lourd à porter ?

Oui et non. C’est ma réalité maintenant. Je suis une maman homoparentale. Le sujet va revenir sur la table, comme tout le monde parle de ses enfants, et c’est normal. Mais j’espère avoir contribué à démystifier ça, afin de ne plus devoir en parler à chaque entrevue.

J’ai hésité avant d’en parler, justement parce que je ne voulais pas être stigmatisée et devenir « la chanteuse lesbienne homo­parentale du Québec ». Je l’ai fait pour affirmer plus fortement qui je suis. Avant, j’avais toujours peur que ce sujet ne soit abordé en entrevue ; maintenant, il n’y a plus aucun sujet tabou.

Avez-vous hâte de reprendre la route pour la tournée ?

Très hâte. J’ai collaboré avec Marie Brassard, qui a beaucoup travaillé avec Robert Lepage, pour la mise en scène. C’est une actrice et une créatrice que j’ai toujours admirée.

Je vais trouver difficile, cela dit, d’être séparée de mes garçons et de laisser toute la job à Florence, ma conjointe… Mais c’est mon métier et je ne veux pas arrêter. Trouver l’équilibre travail-famille sera mon défi de 2015 !